de Jacques Darolles le Dimanche 6 Juillet 2008 22:57
Nous avons vingt ans, une motivation à décrocher les nuages, et le beau terrain de Bourg Saint Bernard pour nous.
Toulouse-Bourg Saint Bernard a ouvert quatre ans plus tôt, dans le but d'accueillir le trafic vol à voile de Lasbordes, l'urbanisation enserrant ( déjà) la plate-forme toulousaine.
Bourg Saint Bernard est à 24 kilomètres de Toulouse, j'y viens en vélo, une heure et quart à travers les coteaux, et nous sommes une équipe à séjourner là, cuisine et dortoirs, premiers à sortir les planeurs, derniers à les rentrer.
Il y a là Mouton, déjà lâché sur A60 Fauconnet, et qui tient des heures et des heures en l'air, Svobodny, qui sera plus tard un grand champion de vol à voile, avant de finir à Air France ( personne n'est parfait) et quelques autres. Une fine équipe...
Ce matin, six juillet 1977, on sort les planeurs, aidés de la superbe 2cv grise de piste, un monument roulant allégé, comme nombre de ses consoeurs des terrains de vol à voile.
Il fait beau, et il faut en profiter. Ce début d'été 1977 est à l'image de cette année, il pleut pas mal, et on vole un peu moins que prévu.
Aujourd'hui, il paraît que je vais faire du Bijave. Bijavus Simplex, animal volant du crétacé supérieur, pas facile à dompter, paraît-il.
Hier, j'ai fait de l'ASK13 avec De Ligondès, le "K13", j'ai bien aimé, mais le Bijave, j'ai un à-priori.
Depuis quelques années déjà que je traîne sur les terrains, fort de mes 120 heures avion, me reviennent diverses anecdotes de bar, sur les Bijaves dont les longerons ont cassé, en particulier sur des sorties de vrilles, la flotte des WA 30 ayant même été entièrement interdite de vol à un moment. Bref, le K13, je préfère, mais là, ce sont les instructeurs qui commandent, et je me brêle au poste avant du F-CCYZ, aidé d'un copain, tandis que mon instructeur du jour, " Géraud" Penchenat, s'installe à l'arrière, en grillant même une clope.
Le Rallye remorqueur s'élance, nous aussi, par la force des choses, au bout du câble, on décolle face à l'ouest, et c'est parti mon kiki.
Thermique pur, ça tient un peu, " Géraud" largue le câble sans crier gare, tiens, démerde-toi pour attraper la pompe, là, la bille, le pied, le Bijave craque, merde, plus serré que ça, la bille, etc. On est pas loin de Verfeil, sur la vallée du Girou, lorsque, spiralant et transpirant depuis un quart d'heure comme un diable dans un bénitier, j'entends mon vénéré instructeur dire :
- Tiens, tire dessus, fais chuter la vitesse, avec du pied à fond..."
- Heu, oui, mais là, on va finir en autorot'..."
- Ben oui, justement..."
Cette conversation des plus polies n'est pas terminée que zwoouf, on part, presque sur le dos, ça tourne, un tour, deux....
- BAANNGG !
Un énorme choc secoue le Bijave, là, c'est sûr, le parachute qu'on vérifie à chaque départ va nous servir, parce que quelque chose a pété...
- T'est prêt à sauter ? interroge le maître
- Heuuuu ... .... .. Oui, euh.... répond le disciple.
- Attends, saute pas encore, on va peut-être le ramener.
Ca c'est une bonne nouvelle, qu'on va peut-être le ramener. Je sais pas vous, mais personnellement, je trouve que c'est une excellente perspective.
Je ne sais pas encore quel morceau du Bijave est parti, mais la machine vole encore, pas tout à fait droit et en vibrant pas mal, mais elle vole. " J'ai les commandes", dit le prof derrière, ce qui tombe bien, car moi, il y a un moment que je les ai lâchées, pour me consacrer essentiellement au harnais du parachute.
" Bon, là, avec les A.F., on fait le terrain à contre-sens".
Sifflement admiratif de l'instructeur, " Hé bé !! regarde derrière..."
J'arrive à me retourner, pour constater que derrière la place arrière, il y a un grand trou où l'on voit le ciel, à travers la structure du planeur. On a visiblement perdu le grand karmann qui recouvre l'aile, lorsqu'on la pose sur le fuselage lors du montage.
Plus peut-être d'autres accessoires, mais on fera le bilan plus tard, pour l'instant, le terrain arrive doucement, petit dosage des A.F. , et on se pose à contre-QFU tranquillous, bien que notre atterro attire quand même les regards, et qu'à peine le bout d'aile posé par terre, on voit arriver tous les éléments constitutifs d'un attroupement d'aérodrome.
L'herbe sèche de Bourg Saint Bernard me paraît accueillante sous la plante des pieds. On entrecroise conjectures et hypothèses.
Le karmann de dessus d'aile.. Mais comment est-il parti?
En tout cas, on doit pouvoir le retrouver, grand comme il est, dans les champs, de dessus ça doit se voir.
Le remorqueur décolle derechef à la recherche d'un grand truc blanc dans les champs verts.
Le bruit du remorqueur s'est à peine estompé qu'apparaît sur le chemin un gyrophare bleu, qui se révèle être posé sur une Estafette bleue aussi, laquelle contient deux gendarmes, et on se dit rapidos que si elle contient aussi le carénage tant convoité, on va peut-être avoir quelques explications délicates à fournir, pour peu que l'objet ait aplati un képi dans sa chute.
L'esprit de corps caractérisant les clubs de vol à voile, un ordre monosyllabique du chef déplace l'attroupement de quelques mètres, juste entre l'axe de vision des représentants de la Loi et la partie centrale du Bijave F-CCYZ, Wassmer 30 numéro 122, pour les spotters.
Les képis semblent intacts, la discussion sereine, les gendarmes ne faisaient que passer, visite de courtoisie.
Oui oui, tout va bien, ici, rien à signaler....
Les Gendarmes repartirent, L'attroupement se dispersa, le mécanicien Grattos prit la machine en compte en nous décernant quelques épithètes.
Je fus lâché Bijave la semaine suivante, après 4h05 totales de vol à voile. Mais même trente et un ans plus tard, pour me faire faire un tour de vrille avec, vous pouvez toujours courir.
Le remorqueur rentra bredouille, et le carénage perdu ne fut jamais retrouvé.
Longtemps nous avons pensé au scientifique, qui vers les années 4500, en effectuant des fouilles dans le coin sur des civilisations passées, déterrerait un carénage de dessus d'aile de Bijave, et tenterait d'expliquer aux membres de l'Institut l'usage antique de cet objet.
Bourg Saint Bernard est toujours à la même place, on m'a dit que "Géraud " était mort il n'y a pas longtemps.
Aujourd'hui, pour fêter le 06-07-08 sur mon carnet de vol, j'ai fait du Bücker ( assisté par Jan, mazette !) et du Rallye, mais j'ai bien fait attention, j'ai bien ramené toutes les pièces.
Jacques Darolles
Aviateur paysan