de Anne Honime le Mardi 9 Octobre 2007 23:52
Le pilote a l'air d'être totalement paniqué, c'est indéniable.
Je n'ai jamais expérimenté, et j'espère ne jamais avoir à gueuler comme ça sur une fréquence.
Puisqu'on parle de passage en IMC, je vous raconte ce qui est arrivé à un cousin.
Effectivement, l'adrénaline l'a aidé à se sortir d'un mauvais pas, dans lequel il s'était mis tout seul. Il a eu la confirmation que le passage en IMC est terrifiant, et a retenu que la seule chose à faire pour éviter de se mettre à hurler ou à pleurer avant de mourir, c'est de faire une chose à la fois. Une chose, puis l'autre.
Il en a retenu aussi qu'on ne joue pas avec certaines règles, celles des espacements avec les nuages, notamment. On a tous joué à lècher les barbules. Mon cousin a juré qu'on ne l'y reprendrait plus.
1/ Il s'est mis dans cette situation seul, sans voir venir, par erreur.
2/ Il pense savoir comment ne plus se retrouver en IMC.
3/ Il a identifié l'erreur : jouer à frotte nuage et ne pas avoir pris la bonne décision plus tôt.
Donc, son récit, tel qu'il le raconte en descendant de l'avion.
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Hier après-midi.
13h locales, au-dessus de la Beauce, morne plaine plate, c'est important, en C172 poussif. Il est équipé comme il faut pour le VFR (de nuit).
Je suis cdb, mon voisin de droite est en formation PPL (40 hdv), un neveu derrière (lui aussi pilote), et quelques petits bagages.
On est chargés comme un C172, c'est à dire à la masse max ou pas loin.
Le C172 oscille gentiment autour du FL65, on file 100 petits noeuds, léger vent de face 10/14 kt. Des petits cumulus épars présents à 3000 ft, on est montés au-dessus, puis ça s'est resserré et épaissit. On sait que c'est bien à destination, là où je dois faire un stop pour le carburant.
La couche en desssous s'épaissit. Elle remonte assez insidieusement : depuis trois minutes je dois monter sans cesse un peu plus. A ce moment, vers le FL70, je dois trouver un trou, le prochain pour redescendre.
Il n'y en a plus, je n'en vois plus.
J'envisage de monter au FL85. Il faut que je monte ou je vais rentrer dans cette couche qui me chatouille les pneus.
J'indique au contrôleur que...que rien du tout.
En montant, j'ai rattrapé une couche au-dessus. Ou plutôt je progresse dans une cloche, entre deux couches.
Je passe en une fraction de seconde complètement en IMC. J'attends 5 secondes pour voir si c'est un paquet qui traine ou autre chose...
Toujours le coton le plus blanc, et pas de soleil apparent. Ca fait 10 secondes, mon voisin de droite a pris un top chrono en rentrant dans le nuage.
J'indique sur la fréquence que je viens de perdre toute référence et passer en IMC.
On me questionne sur ma compétence à gérer l'avion...
Je réponds : j'ai déjà fait cela, en formation TT (il y a longtemps) et 1h de rafraichissement l'an passé en mai.
Le contrôleur m'indique que là où je me trouve il y a 3000 ft de plafond, et que je dois me concentrer sur l'horizon.
Merci, je me concentre. Rassuré d'avoir 3000 ft dégagés avant le sol...
Monter plus ? Non, le Cessna est poussif et je ne sais pas où cela me mènera. Je sais donc que m'échapper par le haut est impossible. Je me dis alors que je suis mort ou pas loin.
Je stabilise l'avion qui bouge un peu, un peu plus qu'il y a une minute ou deux, alors qu'on bavassait doucement, trop détendus par la quiétude ambiante...
Ca fait 20 secondes, il faut faire quelquechose. Ca fait 20 secondes parce qu'on me l'annonce. J'ai l'impression d'être rentré dans cette crasse depuis très longtemps.
Dois-je faire demi-tour ? Je me pose la question : vais-je savoir faire demi-tour ? Sur Flight simulator, aucun problème. Là c'est la vraie vie.
Dois-je descendre ? Je sais par l'info de plafond du contrôleur (je le sais vraiment puisque j'en viens, mais je doute à ce moment, j'ai la trouille, une vraie trouille) que sous les nuages qui m'enveloppent, j'ai 3000 ft dégagés.
Je dois faire quelquechose. Le contrôleur me l'a dit, mais je suis plus que perturbé...
Je me pose ces questions en une fraction de seconde.
Il faut que je fasse demi-tour et que je le réussisse.
Que ça ne soit un virage qui se termine engagé et encastré dans la planète.
A 6700 ft, en faisant demi-tour, en toute logique je devrais retrouver l'endroit d'où je viens, et donc les conditions VMC.
A 30 secondes, je débute mon 180°. Stabilisé vario 0, taux à peu près standard, me voilà reparti route opposée.
Je suis route opposée, mon voisin m'indique un nouveau temps lu sur son chrono. Logiquement dans 2 minutes maxi, je devrais revenir à la vue. A la vie aussi, car j'en mène pas large. Je suis dans un tunnel mental plus qu'étroit.
Là, je me force à tout oublier : oublier les connards du club qui te disent que tu vas mourir si tu rentres dans la couche, oublier les 179 secondes à vivre qu'on ramène sur le tapis comme un vieux serpent de mer, et penser même pas à ses enfants, juste à tenir cet avion les ailes à plat.
Machinalement en voyant la pluie ruisseler sur le pare-brise et sur les ailes, j'ai le réflexe de tirer la réchauffe carbu (la tempé extérieure indique 10°C). Je ne sais pas s'il faut, je ne sais plus rien, mais je le fait. Est-ce opportun ou débile ? Aucune idée.
Je suis toujours en vol à plat, mais l'avion à tendance à vouloir monter. Ca turbule un peu. Il est bien compensé, mais ça bouge un peu plus encore. J'en déduis que je suis au coeur d'un vrai nuage, en me rappelant la Temsi, je ne persuade qu'aucun cumulonimbus ne trainait par là.
En réalité, aucun n'était mentionné. C'est sûrement un du genre congestionné, jouflu, pas sympa.
Route opposée à ma route initiale, et ça fait 2 minutes, annoncées par mon voisin. Rien, du blanc. Et de l'eau qui ruisselle bruyamment. Si je reste là, je peux aller jusqu'à la mer du Nord dans la crasse.
Il faut descendre.
Machinalement encore, je me dis qu'il faut que je fasse descendre cet avion qui veut monter. Je réduis, sort les volets demi course, et prends une assiette qui m'amène à un petit 400/500 ft/min en descente. 85 kt VI et on descend.
Le contrôleur me rappelle et me confirme environ 3000 ft de plafond, plafond confirmé par un traffic dans le coin, et le contrôleur m'indique de le rappeler en vue du sol.
Oscar Fox ! Je lui réponds juste ça. Je suis incapable d'en dire plus, je suis trop concentré, trop absorbé.
J'ai une disponibilité mentale uniquement dédiée à l'horizon artificiel, au vario, au badin et au conservateur de cap. Fixé sur mes instruments, nouveaux copains de la vraie vie, jusque là uniquement observés du coin de l'oeil ou sous une casquette avec la bienveillance d'un instructeur à droite.
Je descends toujours. Je suis très tendu, mais calme et mobilisé sur ma mission : nous sortir de cette merde blanche.
Ca ruisselle toujours dehors, mais ça descend tranquillement (nerveusement, mais c'est curieux, je suis calme, je me persuade que c'est pas pire que lorsque je suis sur FlightSim, les picotements sur les tempes en plus).
Je m'autopersuade que je vais y arriver, qu'on n'est pas encore morts et que ce soir on sera au resto devant une bonne assiette, que ça ne va pas s'arrêter là et que je verrais grandir mes filles.
Je me persuade peu, car j'en suis persuadé, j'y crois. Tendu, concentré, mais pas paniqué. Con-cen-tré autant que possible.
On est là-dedans depuis 4 minutes...Mon voisin l'annonce, avec une voix qui trahit son impatience à sortir de là.
Il me dit qu'on va givrer, c'est sa hantise. Je lui dit : non ! J'en sais rien en fait, je suis accaparé à 100% par la tenue de l'avion.
On continue de descendre.
D'un coup, ça perce, je vois le sol. 2700 ft là où je sors, je passe sur le calage, j'ai oublié tout cela, je vois le sol, on est pas morts.
On a passé quasiment 7 minutes dans la couche m'indique mon voisin.
J'indique au contrôleur être en vue du sol, en conditions VMC et reprends ma navigation et route initiale.
La suite, les averses, les 35 kt/G40 kt plein travers à l'arrivée sous la pluie étaient faciles, comparés à cette incursion dans le monde de l'IMC...
Curieusement je n'étais pas vidé après ça, mais convaincu de ne plus jamais me remettre dans cette situation.
J'ai peiné à gérer sur le moment ce passage en IMC, mais après, il fallait gérer.
Je sais maintenant comment ça fait de se faire piéger. Je sais aussi pourquoi : on doit respecter les espacements avec les nuages. Ils ne sont pas faits pour les chiens, ni pour favoriser la monotonie d'un vol.
J'ai pensé à monter, mais j'ai renoncé, vu mes capacités VFR uniquement et mon avion pas véloce.
Je pense que je n'avais pas d'autre choix que de descendre et faire demi-tour, tout en informant.
Il m'a semblé qu'il était possible de gérer le pilotage en IMC en vol à plat, mais difficile de gérer cela et de dissocier mon attention pour la radio, réfléchir à d'autres choses : j'ai peiné et ça m'a demandé beaucoup de concentration. A mon avis, il faut se concentrer sur les priorités et s'éviter la pollution mentale avec des images répandues (en situation d'urgence, et pas pour légitimer un passage IMC, soyons clairs).
Je sais qu'il peut y avoir du monde dans la couche, mais une fois pris au piège, à part informer et piloter, il n'y avait rien d'autre à faire.
FIN
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De cela on retire quoi ? Que c'est passé, une fois, cette fois. Que ça aurait pu être dramatique. Que ça aurait pu être une séquence MP3 diffusée sur un forum, ou une carcasse éparpillée dans un champ de blé. Que ce n'est pas parce que c'est passé qu'il faut recommencer en repoussant ses propres limites.