de Leon Robin le Dimanche 31 Août 2008 00:36
L'hommage posthume a le grand mérite de ne rien coûter par rapport à une reconnaissance du vivant de l'intéressé. C'est certainement l'amère réflexion que Gilbert Klopfstein aurait faite, et que font à sa place ceux qui l'ont bien connu dans la dernière partie de sa vie. Pour en avoir longuement discuté avec ceux qui, au club, l'ont bien connu ces quinze dernières années, nous sommes persuadés que, s'il était parmi nous, il nous aurait dit, de la manière abrupte et sans détour qui était la sienne, ce qu'il pensait de cet hommage rendu - discrètement - par une administration qui ne l'avait pas ménagé de son vivant.
"Après avoir quitté le corps des ingénieurs de l'armement en 1982 ... " peut laisser croire au lecteur non avarti qu'il l'avait quitté volontairement. Ce n'est pas le cas, et son éviction fut pour lui une véritable catastrophe, tant sur le plan moral en mettant fin abruptement à une brillante carrière, que matériel en obérant des droits à la retraite qui lui feront cruellement défaut à la fin de sa vie. Nous y reviendrons.
Des longues conversations que certains d'entre nous ont pu avoir avec lui, il ressort que son départ fut la suite logique d'une situation née de l'autisme de l'administration face à ses travaux et de son intransigeance, sur fond d'inimitiés qu'un personnage aussi atypique ne manque pas de susciter. Son caractère "bien affirmé" (pour ne pas dire "impossible", il faut le reconnaître) n'y est pas étranger, mais était-il sage de se priver du génie qui en était le corollaire ? Les administrations sont plus efficaces pour juger de la discipline ou du conformisme pour entrer dans un moule que pour reconnaître une intelligence hors-normes.
Les vacations d'enseignement à Sup aéro et à l'ENAC lui ont permis de survivre chichement "après avoir quitté le corps des ingénieurs de l'armement" jusqu'en 1997. Je me souviens de ce jour de novembre 1997 où il fit irruption dans mon bureau au club, blème, me tendant en tremblant une lettre et me disant d'une voix étranglée par la rage et l'indignation : " regardez ce que m'ont fait ces ............. ". La lettre lui expliquait qu'ayant atteint 65 ans, il ne lui était plus possible d'enseigner et que l'administration mettait fin à ses vacations, à effet immédiat. J'avais face à moi un homme anéanti et humilié. J'ai appris plus tard que cette nouvelle était aussi une catastrophe financière pour lui, le privant de ressources déjà modestes. Et sa retraite, dira-t-on ? Mis en disponibilité en 1982, sa carrière d'ingénieur de l'armement s'était interrompue, ainsi que la constitution de ses droits. A partir de ce moment, ce fut pour lui une longue et pénible descente aux enfers.
Il souffrait d'une "longue maladie", consécutive selon lui à certains essais en vol très particuliers dans les années 60. Je n'ai pas compétence pour en juger, mais le fait est qu'il était régulièrement hospitalisé pour subir de lourds traitements, et que sa santé semblait décliner depuis plusieurs années. Le décès de son épouse, qu'il adorait, lui a porté le coup fatal. Il n'était plus, littéralement, que l'ombre de lui-même, mais continuait à venir au club pour donner des cours théoriques. Il avait cessé l'instruction en vol quelques années auparavant. Nous savions que sa situation financère était difficile, pour les raisons que je viens d'expliquer. Quelques uns d'entre nous avaient tenté de l'aider, en vain. Il répondait simplement " personne ne peut plus rien pour moi" et s'en allait, seul.
"Il fut chargé [ ............... ] de mettre au point le Mirage III biplace à stabilité variable pour aider au développement de l'avion supersonique Concorde". Lors de soirées au cours desquelles il nous a raconté la genèse et les péripéties du viseur tête haute (que d'aucuns ont longtemps appelé "viseur Klopfstein"), il expliquait que l'idée lui était venue en observant les creusements de trajectoire qu'il observait en approche lors des essais à bord de ce Mirage III modifié. L'analyse lui avait permis de remarquer qu'il manquait une information entre les paramètres des instruments et le pilote qui les traduisait aux commandes. L'idée se matérialisa à l'aide de composants de récupération et des talents de bricoleur et d'électronicien de Klopfstein. Le Mirage III ainsi modifié nécessitait un équipage de deux hommes : le pilote de la partie "simulation et celui qui faisait voler l'avion dans les phases "normales. Les rôles n'étaient pas interchangeables. L'un s'appelait Jean turcat, pour la simulation, l'autre était Gilbert Klopfstein.
Il y a environ 3 ans, Jacques Pradel sur Europe 1 avait invité André Turcat pour une émission d'une heure 1/2 sur les premiers vols du prototype de Concorde et leur préparation. Turcat ayant furtivement évoqué ce fameux Mirage III biplace, le journaliste lui demande alors : " Vous étiez l'instructeur et l'autre un élève". "Euh, non" fut la réponse, brève et embarrassée. Nous étions au tout début de l'émission, à laquelle les auditeurs étaient supposés pouvoir participer s'ils avaient des élements à apporter. J'ai immédiatement envoyé un mail à propos du rôle de Klopfstein dans l'affaire, demandant si Turcat pouvait en dire quelques mots. Il n'en a pas été question un instant à l'antenne. Il faut dire, et Klopfstein ne s'en cachait pas, que les deux hommes ne s'estimaient guère, pour reter dans l'euphémisme. Le caractère de Gilbert Klopfstein était allergique à tout ce qui assure de brillantes carrières dans notre pays.
C'est cet homme qui a inventé le viseur tête haute à peu près universellement utilisé aujourd'hui. Cet homme est mort presque dans la misère, rejeté et ignoré de tous ceux à qui il a tant apporté.
C'est à cet homme que la DGAC rend un hommage tardif et posthume, après l'avoir ignoré de son vivant.
Parfois, en voyant cela, on se prend à avoir honte pour son pays. Nous sommes quelques uns à croire sincèrement que son dernier, et seul réconfort a été de pouvoir continuer à transmettre son savoir à des élèves PPL, dans un simple aéroclub
Léon Robin, LFMD" Ceux qui sont prêts à sacrifier leur liberté à leur sécurité ne méritent ni l'une, ni l'autre " (d'après Benjamin Franklin)Site de mon aéroclub :
http://aeroclub-uaca.org