de Jan Tutaj le Vendredi 4 Janvier 2019 00:35
Virée nocturne 5. Suite et fin
Il est temps, en effet de passer à la contre-attaque.
On me manipule depuis hier soir ; j’ai fini par remplir leur foutue mission, il faut à présent agir si je ne veux pas me faire alpaguer par les gendarmes en atterrissant à Castres.
Donc, je ne vais pas à Castres.
Il fait grand-jour, je ne risque pas grand-chose coté interception par la chasse, de ce coté là, je suis plutôt couvert.
Mais il ne faut pas éveiller l’attention de mon cerbère.
Je reste donc aussi bas que possible, les couilles à raser le bitume, de telle sorte qu’il ne reconnaisse pas le paysage.
J’ai pris la route 345° depuis la lagune de Sète.
J’en ai pour 14 mn environ avant d’arriver au terrain que je me suis choisi.
Isolé, désaffecté, en plein milieu du causse, avec une piste presque en dur de 1000 m de long. C’est trois fois ce qu’il faut pour arrêter un ATR 42 très léger.
J’y suis déjà allé, juste histoire d’y faire une remise des gaz en monomoteur. De mon point de vue, c’est praticable.
Michel commence s’agiter.
- Mais, ce n’est pas la route de Castres !
- Mais si, tiens voilà la montagne noire. (En fait ce sont les premiers contreforts des Causses.)
- Ca ne ressemble pas. . .
- Cette nuit, il faisait nuit, qu’est-ce que tu veux reconnaître.
- Si vous me préparez un mauvais coup . . .
- Regarde les jauges, il ne reste pas beaucoup de carburant, où veux-tu que j’aille ? Allez, rassure-toi, c’est bientôt fini, on se pose dans 5 mn.
Là, il se rend compte que ça ne ressemble vraiment pas à Castres. Trop tard, je tire sur le manche et nous voilà à 1000 ft sol, j’ai bien choisi mon point de cabré, sous mes yeux à gauche apparait le terrain de La Canourgue. Je passe en vent arrière de la 11, volets 15°, trains sorti, volets 25°, dernier virage main gauche, volets 35°, posé court.
Touché, posé, pas cassé, c’est gagné !
Pleine reverse, debout sur les freins, j’arrête le camion en 50 m.
Deux voitures apparaissent immédiatement de part et d’autre du fuselage.
Mon équipe est au rendez-vous.
De part et d’autre de nos sièges, il y a plusieurs manettes pour ajuster correctement notre position. Et l’un de ces petits leviers sert à bloquer totalement le harnais du pilote pour éviter qu’il ne tombe sur le manche, en cas de perte de conscience.
Tout en me levant rapidement, j’abaisse ce levier sur le siège de Michel.
Il gigote un peu, coincé comme une tortue sur le dos.
Je suis debout entre les deux sièges, je prends mon élan et je lui assène un très sec coup de coude droit, juste à la base du nez.
Il tombe dans les vapes immédiatement.
C’est un coup de Krav-Maga que j’ai appris dans une vie antérieure. J’attrape à toute vitesse, dans le lot de bord qui est derrière le siège copilote, un gros ruban d’aluminium (le fameux TAPALU) et je le saucissonne.
J’engage le GUST LOCK, et tire le manche en arrière, tout en avançant son siège le plus possible. Là, il est totalement coincé.
Mes alliés arrivent dans le poste, silencieusement. En un clin d’œil, ils déposent deux sacoches pleines de sachets de poudre blanche, après les avoir mises dans les mains de notre dormeur du val.
Que des sachets de farine ! J’attrape le masque O² de droite et le fixe sur le visage de mon ex-maton. Je le fouille et lui prends tous ses papiers, téléphones, badges et même son pognon.
Je règle l’O² sur 100% secours. Il est vite réveillé.
Ses yeux furibonds s’agitent dans tous les sens.
- Écoute-moi bien, espèce de fumier, si vous me cherchez des crosses, si vous me traquez, tout ton matériel arrive dans les rédactions des meilleurs journaux, du Monde au Washington Post. Sans compter qu’avec les 20 kg de came que tu as rapportés de Libye, tu risques 20 ans.
Il n’a pas vu mon équipe déjà redescendue, il ne sait pas que j’ai réglé tout ça depuis le porte-avions quand j’ai pris ma douche et qu’ils ont tous été assez tartes pour me laisser mon mobile. Lequel a parfaitement fonctionné contre toute attente.
Je le laisse à ses méditations.
Je descends de l’avion, je referme la porte, je la verrouille à l’aide de ma clé magique, que je casse volontairement dans la serrure.
- לא עייף מדי, אריק? Le chef de mon équipe occasionnelle s’inquiète de moi. Je parle très mal l’Hébreu, j’espère ne pas trop massacrer. D’habitude nous échangeons en yiddish
-אזל.
-מה מחבואי?
-מלון בפריז, נהיה שם 6 שעות. On m’informe que je serai dans une planque, dans 8 h.
Je monte dans l’une des deux voitures, même pas 5 mn après avoir atterri.
Il ne faut pas traîner. Les deux autos venus près de l’avion, plus deux autres garées un peu plus loin, se mettent en route et prennent des directions opposées.
J’ai des amis comme ça, qui me renvoient des ascenseurs quand je suis dans la mouise. Je peux compter sur eux comme ils peuvent compter sur moi. Je n’appartiens à aucun camp, à aucune coterie, à aucun service. Je fais mon métier de pilote au mieux (trop con pour faire autre chose, comme disent nos patrons dans les compagnies aériennes). Pour le reste, c’est la vie qui décide.
Huit heures plus tard nous débarquons dans le 17ème à Paris et je m’installe dans un petit hôtel sympatoche, rue des Dames.
« Le Petit Balcon », c’est le nom de mon hôtel. Je commence par dormir 15 heures d’affilée.
Puis, je vais me balader à pied dans Paris, non sans effectuer régulièrement des ruptures de filature, comme chacun les apprend dans n’importe quel bon roman d’espionnage.
Je lis sans surprise dans les journaux que des troupes de rebelles parfaitement équipées et encadrées prennent petit à petit tous les points clés en Libye et que le régime vit ses derniers moments.
Il est aussi écrit que le maître d’œuvre de la nouvelle politique étrangère en Afrique, Bertrand Hubert Lentarté, se pavane dans les ministères et sur les plateaux de télévision.
Rien n’arrête ceux qui osent tout. C’est affligeant.
Dans d’autres pages des mêmes journaux, au registre des faits divers, beaucoup de questions se posent à propos d’un avion de ligne volé par des trafiquants de drogue, avion volé et retrouvé 100 km plus loin 15 h plus tard. Un des malfaiteurs aurait été retrouvé à bord dans des conditions mystérieuses.
Les gendarmeries du Tarn et de la Lozère sont sur les dents.
Pas de témoins, très peu d’empreintes digitales, pas d’indices.
J’ai gardé mes fins gants de cuir blanc tout au long de cette aventure, sauf sous la douche.
Pendant 8 jours, je me gave d’expos et de musées, Paris est un paradis. Ce mois de février 2011 est clément, et c’est un régal de retrouver ma ville de prédilection.
Un matin, un SMS apparait sur l’écran de mon téléphone.
« 303.demain 17.00 .Popeye »
Je réponds
« friend or foe »
« friend. viens confiant. Game over »
« sur quelle fréquence étions nous ? »
« XU »
Je coupe mon téléphone. Je retire la carte SIM et la batterie, et je jette le tout dans la Seine.
Comment ont-ils mon N° ?
Bon, on verra bien.
303, c’est sûrement ce nouveau bar dédié aux pilotes du célébrissime squadron 303 qui vient d’ouvrir dans les beaux quartiers.
On y boit différentes Vodkas et de sublimissimes Whiskies pur Malt à damner un saint.
On peut y entrer si on est aviateur, pas besoin de licence ou de carnet de vol, ça se renifle.
Ils ont même viré, récemment et à coup de pieds au cul, un drôle qui réclamait des glaçons pour son Talisker.
C’est dire si on est entre gens de bonne compagnie.
Le rendez-vous est à 17.00. J’y passe à 10.00, sur le trottoir d’en face, brun avec des lunettes et un imperméable.
Je ne peux hélas pas appeler mes amis, partis sur une opération difficile.
Je repasse à 15.00, roux en blouson vert pomme. Rien ne semble indiquer un dispositif dangereux.
La rue est à sens unique, je me place 200 m avant l’entrée du bar vers 16.30, planqué sous un porche.
Un taxi dépose Popeye, en tenue de marin de ministère. Il entre dans le bar et s’installe bien en vue, dans ce cadre feutré, cuir et acajou, qui rappelle plus un lounge anglais qu’un quelconque bar Parisien.
Je l’y rejoins assez vite, après avoir constaté qu’il n’était pas suivi.
- Salut Popeye !
Il s’est levé à mon approche. Quelques vieux restes de bonne éducation, sans doute.
- Bonjour, tu te rends compte que je ne connais même pas ton nom.
- Appelle-moi Ari, commandons un Dalmor ou un Lagavulin. Es-tu en mission ou bien est-ce une visite personnelle ?
- Les deux. Je suis en BUC parce que je viens de passer 3 jours dans une commission de travail sur ta mission et sur ton cas. (BUC, pour les profanes = Bel Uniforme de Cérémonie)
Je suis là en ami, tu es totalement dédouané. On s’est bien écharpé entre DGSE et Marine, heureusement le grand Faisan n’était pas là.
Il a finalement été constaté que quoi que l’on en pense la mission DGSE a été totalement effectuée. Grâce à toi, fût-ce à ton corps défendant.
La Marine n’a pas du tout apprécié, mais alors pas du tout, qu’un pékin non volontaire pose son avion sur notre porte-avions.
La compagnie à laquelle tu as volé, pardon, emprunté l’avion a retiré sa plainte, son avion n’a pas souffert.
La gendarmerie est furieuse, car un trafic de drogue a été opéré à l’occasion.
- Ca va, c’était que de la farine !
- Ah, parce que tu étais au courant ?
- Ben, bien sûr c’est moi qui ai fait le coup, juste pour envoyer un message et mettre les rieurs de mon coté.
- Oui, euh, le dénommé Michel n’a pas vraiment apprécié de s’être fait avoir à la fin de la balade. Il a été muté aux Kergelen. Cependant, on aimerait que tu rendes le matos et les affaires de Michel.
- Non. Il faudra vous satisfaire de ma parole. Pas négociable.
Popeye est songeur, il se rend compte que la fin d l’histoire n’a pas été bien comprise par les différents intervenants de la commission. Apparemment, ils ne sont même pas au courant de l’intervention de mon équipe d’amis.
- En tout cas, j’étais mort de trouille pendant tout le vol et je t’assure que ton Hawkeye au dessus de moi, ça m’a drôlement rassuré. Et, au fait, tu as un nom ?
- François D’Elmas Dunoyer de Faycelles.
- Houlà, vieille noblesse Quercynoise, qu’est-ce que tu fais chez les marins ?
- Je ne vais pas y faire de vieux os. Je stagne comme capitaine de corvette, j’ai fait 20 ans, il est temps que j’aille brouter une autre herbe. T’as sûrement une idée ?
- Va voir mon ami Philipe de Turenne Bretenoux de Linac . . .
- Quoi ? Mais nous somme apparentés, c’est un cousin et un ami de la famille. Et il a des contacts en aviation ?
L’histoire s’arrête sur une page entr’ouverte. Les deux nouveaux amis passent la soirée à goûter de fabuleux breuvages tourbés en riant aux éclats à l’évocation des pitres qui nous dirigent. Enfin, ils essaient de nous diriger , mais pour aller où ?
Bons vols à tous et ne faites pas pareil
Ari