Au risque de friser le narcissisme, je vous assène une dernière histoire me concernant avec le Noratlas. Elle n'a jamais été publiée ni racontée à un quelconque bar d'aéro-club, car je n'en étais pas très fier. Et pour cause, elle tiendrait plutôt sa place dans un RETEX dans la catégorie "presque accident".
Ce 1er juillet 2000, la fête bat son plein sur l'aéroport du Touquet-Paris-Plage. Les gens du nord sont sensibles aux animations de plein air et y viennent généralement en masse, surtout lorsqu'elles sont gratuites. Les familles organisées arrivent tôt le matin, installent parasols et glacières au plus près des barrières pour ne rien manquer du spectacle. Le plus dur est de tenir les gamins, et l'animation est en général des deux côtés des barrières, où torgnoles et cris de rappels rythment le temps avant le meeting et même pendant. C'est l'essence même d'un meeting populaire !
Traditionnellement, un meeting aérien commence avec le largage des parachutistes. Il faut du temps pour faire monter l'avion à l'altitude nécessaire et cela permet aux badauds de quitter les bars et rejoindre la tribu avec les provisions. Le "sérieux" commence en général juste après le dernier parachutiste posé.
Quelques mots sur le contexte de cette manip :
Œuvrant à l'époque dans le domaine de l'Aviation Générale, je distribuais quelques subsides de mon employeur à des associations mettant en l'air des avions d'exceptions, dont le Noratlas.
Il s'avère que sponsorisant modestement la fédération de parachutisme j'avais eu l'idée de la mêler à ce meeting en offrant des places dans l'avion. La condition était qu'elle s'occupe de la partie technique, c’est-à-dire fournir un largueur et gérer les sauts. A charge de mon employeur de régler les frais d'essence et d'assurance pour ce largage.
Attiré par l'avion comme un essaim d'abeilles sur un pistil fleuri, les parachutistes se regroupent auprès du Noratlas. Ils viennent d'un peu partout, certains se connaissent, d'autres pas. On se sert les mains, échangeons les rares informations, et partons vite nous équiper …bien avant l'heure du décollage. Le parachutiste n'est pas un voyageur ordinaire, il se prépare longtemps à l'avance, tant il a hâte d'être à bord et …d'en partir.
Pour préserver ses moteurs, l'avion monte doucement jusqu'à l'altitude de saut, relevée à 3550 m sur mon altimètre. La plupart des sautants se sont organisés en équipes de vol relatif. Nous ne sommes pas nombreux, l'assurance avait limité l'avion à une quinzaine de sautants. Comme de coutume, les équipes se mettent en place par ordre dégressif du nombre de chuteurs les composant.
Étant en binôme avec un copain, nous sommes les derniers à partir, calés au fond de l'avion près du poste. Du coup, je l'informe qu'il est inutile de se presser contre le groupe précédent et on attendra qu'il soit parti pour courir jusqu'à la tranche arrière. C'est un plaisir qu'il est difficile de partager. Imaginez-vous courir les 10 m de la soute pour sauter dans le vide. La première seconde qui suit, c'est comme sauter du balcon bien protégé par la dépression provoquée par la structure. Puis c'est le coup de balai du vent relatif, qui envoie parfois le chuteur cul par-dessus sur tête. Il faut une seconde de plus pour bien se stabiliser et rejoindre le compère. Alors que je ramenais mes bras pour aller vers le copain, je jette un œil en-dessous et aperçoit le rivage sous un angle plus proche de 45° que de la verticale ! Je croise frénétiquement les bras pour signifier la fin de la chute à peine commencée. Bien m'en a pris ! Nous volons tous les deux, bras hauts, pour tenter de rejoindre le rivage. J'ai regardé autour de moi et vu des voiles ouvertes sur ma droite, étagées à des altitudes différentes. Aucun de nous ne possède de
mae west et aucun bateau n'a été requis pour la surveillance. Même au mois de juillet, l'eau de la Manche est froide, et si l'infortuné n'a pas coulé avec le poids de son parachute de secours (en supposant qu'il ait largué la principale), ses chances de survie sont minimes.
Je délaisse la surveillance des autres pour penser à moi-même et préparer l'atterrissage, car j'ai maintenant l'assurance de toucher sur du sol sec. En fait, mon binôme et moi atterrissons dans les dunes de la plage Sainte Cécile, sur la commune d'Etaples. Quelques couples surpris nous regarderont d'un air torve…
Nous brassons nos voiles et partons maintenant à pieds pour rejoindre l'aéroport. Il nous faut remonter l'embouchure de la Canche jusqu'à Etaples, franchir le pont congestionné par la file de voitures et retourner à l'aéroport. Lorsque nous arrivons, plus de deux heures après le saut, nous sommes les derniers. J'avise quelqu'un que je reconnais pour avoir été présent au moment de l'embarquement et questionne :
- Où sont les autres ?
- Ben…dès qu'ils sont arrivés, ils ont repris leur voiture et ils ont filé.
- Quelqu'un a relevé les noms ?
- …
Une sorte de douleur m'a serré les tripes. Il n'y avait personne au sol pour faire la surveillance au moment du saut, compter les voiles ouvertes, et cocher sur une liste ceux qui rentraient.
Les jours qui ont suivi ont été les pires moments de ma vie. J'ai scruté tous les faits divers dans la presse régionale, appréhendant d'y découvrir un parachutiste noyé sur la plage.
Je ne me suis plus jamais proposé à sponsoriser ce genre de manip et conserve une sourde rancœur contre moi-même qui résonne de deux mots :
-
Et si…?(Images d'illustration prises en 1999 et n'ayant pas de rapport avec ce meeting)