de Jacques Darolles le Jeudi 31 Juillet 2008 22:54
[size=-1][SIZE=-1][SIZE=-1]"Air France Two Five One One, fire crew are in position, and of courseclear to land runway 23 Left, wind is two four zero degrees at nineknots".
Bien , nous y sommes. En fait, non, on n'y est pas, on n'est pas ausimu, parce que ce sont de vrais nuages, bien dodus et cotonneux,derrière lesquels il y a les vraies pistes de Düsseldorf, que j'espèreon va voir bientôt à travers le broken à 800 ft.
Düsseldorf vers où, il y a vingt minutes, en accord avec mon copilote Cédric, j'ai choisi de dérouter.
Le moteur 2 est arrêté pour de bon, et là, c'est pas comme au simu, si on la loupe, on ne se repositionne pas pour la refaire.
Au simu, d'ailleurs, j'eusse sans doute débrayé les automatismes, pour se la jouer sportive.
Là, au ras de la masse max atterrissage, sur un moteur, je la joueplutôt modeste, et j'ai laissé les automatismes faire ce qu'ils saventfaire, piloter, pour me concentrer sur ce que seul peut l'humain,bilans, décisions, informations.
Mon remarquable copi Cédric m'assiste avec tact et méthode,surveillant le déséquilibre carburant, démarrant l'APU, et répondant aunombreuses questions du contrôle belge, nombre de passagers à bord,carbu restant, matières dangereuses éventuelles, besoins despompiers...
D'ailleurs, on va temporiser un peu, se poser d'abord, et on verraau sol s'ils ont aussi besoin de nos pointures de chaussures, et dunuméro de chassis de la Panhard de mon grand-oncle.
Ça baignait pourtant dans l'huile, au FL340 dans le petit matin,retour de Hambourg après un lever terriblement matutinal. Avion"blindé", selon l'expression consacrée, 161 passagers, 4 jumpseats,plus ceux qu'on a laissé là-bas, le début des vacances scolairesallemandes remplissant en foule les aérogares et les avions.
J'étais justement en train de dire à mes invités au poste que toutallait bien et que tout baignait, et que le petit choc aérodynamiquequ'on venait d'entendre était juste le sillage d'un autre avion, quandCédric pointe le doigt sur les écrans, pour me dire que non, avec le N1du réacteur 2 qui vient de s'effondrer à 40%, ça ne devait pas être uneturbulence de sillage.
" Merde.." dis-je dans le texte.
"Ding" " Eng 2 Compressor Vane Fault" répond l'ECAM.
C'est sérieux. La ( par ailleurs charmante) chef de cabine arrive au poste
- On a entendu un bruit, à l'arrière, c'est normal ?
- Euh, non, c'est pas normal, on vient de péter un moteur. On arrête le service et on range. "
Première préoccupation : Continuer à voler. L'A320- 100 à moteursCFM 56-A1 n'est pas précisément une bête de course, et on ne va pasrester longtemps au FL 340 sur un moteur.
" Tu leur dis Pan Pan, et du demandes à descendre, FL 280 pour commencer..." Ce que notre précieux Cédric s'emploie à faire.
Ensuite, les check-lists associées. Pour l'instant, lesrecommandations liées à cette panne ne sont que d'éviter les mouvementsbrusques de manette.
Rien d'alarmant si on ne considère que l'ECAM et les check-lists,mais en réalité, le moteur ne pousse plus. C'est une situation de pannemoteur. Pas nette, mais une panne moteur quand même.
Bien, on va descendre, me dis-je in petto, et une fois à un niveaude rétablissement, toutes les check-lists faites, on voit si on peutarriver à CDG, mais si le moteur est vraiment perdu, on risque des'arrêter en route.
Normalement, il faut laisser l'avion décélérer jusqu'à "green dot",vitesse de finesse max, et descendre ainsi avec un moteur qui pousse etpas l'autre, mais aujourd'hui, avion bien lourd, je me garde une marge,et lorsque le badin passe sur 230 noeuds, j'engage la descente, laRhénanie et la Hollande n'étant pas des régions critiques sur le plandu relief. Sûr, au dessus des Alpes, on serait moins relax.
Bon, on descend, et pendant que mon copi explique à Maastrich une partie de nos malheurs, je fais un pointgéographique, et là, il n'y a déjà plus que deux options sérieuses,c'est Roissy ou Düsseldorf.
Car lorsque ça va mal, ma conviction est qu'il faut se mettre surun terrain qu'on connaît déjà. Et s'il y a une escale Air France sur leterrain, c'est encore mieux.
Et puis l'EGT du Réacteur 2 se met à monter tout doucement, tout doucement, mais constamment,
Ding!!!!! "Engine 2 EGT Over Limit" annonce le machin.
Bon, on va réduire, d'accord ? En s'approuvant mutuellement avecCédric, je ramène la manette de poussée à zéro, mais l'EGT continue àpartir dans les butées, 850°, 860, 870, alors qu'on est plein ralenti..
Bon, là, faut couper, OK ? 880°, 890, Ca prend plusieurs secondes,je mets la main sur la manette, Cédric vérifie, je revérifie, onvérifie tous les deux, on est bien sûr que c'est celui-là, carévidemment, il faut couper... LE BON.
Je coupe, Klak Klac, transferts électriques, là, on est vraiment en panne moteur, c'est net, comme dirait le proc'.
- Tu leur dis Mayday, et qu'on va à Düsseldorf."
Pendant ce temps, on est descendus en dessous des espaces de Maastricht, et il faut passer avec Bruxelles.
" AF 2511, Proceed Barmen, " dit le contrôle. Nickel, BAM, c'est le VOR qui est en fin de vent arrière à Düsseldorf.
Annonce aux passagers, en donnant un point de rendez-vous après l'atterrissage pour la suite de leur voyage.
L'évocation d'un futur enlève inconsciemment de la gravité au problème présent.
Etrangement, il se produit là un moment de détente. Les décisionssont prises, on sait où on va, et tout le monde en bas le sait.
L'assistance max est en train de se mettre en branle, on peut faire confiance aux Allemands pour ça.
Le reste devrait se passer comme au simu. En quelque sorte, nous revoilà en terrain connu.
Sortir la doc de Düsseldorf. L'ATIS. Le FMS. Le contrôle demande sion veut maintenir une vitesse aussi lente " Dis lui que oui, on y va à240 noeuds, pépères".
Là, on ne fait pas la course, l'important est de se placer tranquillement en face d'une piste.
Si on ne casse rien, ça fera au moins un bon sujet pour le forum..
On entend qu'autour, ça ralentit et ça tourne, " Because an emergency in progress in Düsseldorf ", qu'ils disent.
Bigre, ça doit être sérieux.
Un souci supplémentaire se greffe là-dessus: à 63 tonnes, l'aviondécélère très mal, il faut sortir les volets tout près des placards.Voilà l'axe. Volets 1, on tient le bon bout.
Alors ça va aller... J'ai prévenu Cédric que je garderais le piloteautomatique et l'ATHR très loin en finale, histoire d'assurer un max.
Les décollages de Düsseldorf sont arrêtés, et coïncidencemarrante, le seuil 23 Left est tout près de la terrasse à spotteurs,lieu incontournable sur les aéroports allemands. Notre courte finalerisque d'être abondamment photographiée, et si derrière, ça fume, notreimage va faire le tour du monde.
Voilà la piste, et pour ne rien vous cacher, je suis content de lavoir. Etrangement, l'avion vole beaucoup moins en crabe qu'au simu .Presque droit.
- T'es prêt ? Je débraye.
Dibidip, Tibidip, AP off. Bien centrer le FD pour l'instant,
"Five hundred."
Tout stabilisé, rien ne bouge.Vitesse, FD, glide, loc, vitesse, FD,glide, loc, vitesse, FD, glide, loc, à l'affût de toute perturbationlatérale qui gênerait notre vol asymétrique.
" Wind two four zero, eight knots"
"Three hundred"
Vitesse, FD, glide, loc, vitesse, FD, glide, loc, vitesse, FD, glide, loc
"Two hundred"
Là, c'est gagné, on finit sur la piste.
"One hundred". C'est sûr, je ne vais pas faire dans l'esthétisme auniveau arrondi. Mais on va toucher une roue de chaque côté du trait, cequi est hautement satisfaisant, déjà.
Fifty, Forty, Thirty. A fond la manette restante en arrière.Assiette bloquée, ne pas cavaler, bloum, on touche un petit peu ferme,mais on est sûrs que derrière, personne ne va protester.
Reverses au ralenti, se concentrer sur l'axe, laisser faire lefreinage auto, 110 noeuds, nickel-chrome symétrique, on va même dégagerdevant l'aérogare.
Ca applaudit derrière , ils sont contents.
Pourtant il n'y a rien d'extraordinaire, à refaire des procéduresque l'on a répétées maintes fois au simu. L'épreuve est certes moinsdifficile que le traitement quotidien des escales au sol, ou la gestionde la fatigue lorsqu'on se lève plusieurs matins avant cinq heures.
Mais se poser sur un moteur, c'est évidemment plus médiatique.
La partie difficile de la journée nous attend désormais. Avertir lacompagnie, faire une croix sur le programme des deux jours à venir,briefing avec les mécaniciens sol de LTU, confier à l'escale deDüsseldorf le soin de rerouter nos passagers malgré des vols completset une aérogare bondée.
Prendre soin du reste de l'équipage, trouver un coin pour fairedéjeuner nos vaillants PNC, suivre les décisions du CCO quant à l'envoid'un autre avion.
Nous rentrerons dans l'après-midi en passagers sur le F-GKXHspécialement dépêché, en compagnie d'une centaine de nos pax, lesquels,trouvant quatre heures plus tard un avion identique sur le mêmeparking, demandent si c'est encore le même avion....
Je finis par quitter Roissy vers 18h00, après un moment passé au CCO, à disserter avec les experts techniques.
Un camion va partir dans la soirée apporter un CFM 56 à Düsseldorf,une équipe de mécaniciens prendra le premier avion demain pour changerle moteur.
Au fait, ça coûte combien, un CFM 56 ?
Jacques Darolles
Qualif monoturbine prorogée[/size][/SIZE][/SIZE]