Philippe Warter a écrit:Juste une question de béotien Gilles.
Comment se peut-il que les deux pilotes agissent simultanément sur les commandes?
Pas de petit bouton de priorisation manche/palonniers?
Pas de procédure à l'ancienne? ("commandes à gauche", ou comme je l'ai déclaré des dizaine de fois "commande à droite", et l'autre se croise les bras).
Sur Airbus les deux manches sont complètement indépendants, sans retour de ce qui se fait de l'autre côté (ni du PA d'ailleurs), ce qui a conduit à pas mal de pataquès avec du double pilotage, non-conscient le plus souvent. En ligne et surtout en instruction, lors des premiers vols hors ligne à l'issue de la qualification au simulateur (les premiers arrondis avec un stagiaire qui n'a fait que de l'avion léger, mets-toi à la place de l'instructeur...)
Il a donc fallu mettre au point une procédure de reprise de commandes très explicite, mais ça ne répondait pas au problème du débutant tétanisé ou du pilote victime d'un malaise qui s'affale sur son mini-manche, avec lequel quelques centimètres de débattement suffisent à t'envoyer aux limites du domaine de vol: on peut donc "tuer" le manche opposé, avec bouton de prise de priorité et voyants de logique de priorité devant les yeux des pilotes. Un peu usine à gaz, mais au global apparemment satisfaisant.
La situation n'est pas du tout la même sur 777 puisque les manches sont classiques et conjugués, avec retour des mouvements de l'autre côté (ainsi que du PA). Malgré les commandes électriques, c'est exactement comme sur un Jodel et on n'a pas particulièrement de double pilotage, la passage des commandes d'un côté à l'autre étant manifeste, visible, et normalement annoncé comme tu le fais remarquer.
Mais les commandes sont néanmoins conçues pour qu'un blocage mécanique (qui se manifeste par un comportement anormal de l'avion) puisse être surpassé par le manche de l'autre côté, en dépassant un seuil d'effort, voire par un effort conjugué des deux pilotes, simultanément(*). C'est ce qu'a indiqué Luc, avec copie du FCTM Qatar Airways. D'autres avions comme le 747 sont ainsi conçus (et peut-être, comme le suggère Aviathor, les Douglas, que je ne connais pas).
Dans le cas dont nous parlons, je n'étais pas dans le poste, je ne connais pas les pilotes et j'en suis réduit aux suppositions à partir du rapport préliminaire du BEA. Pour une raison que je ne comprends toujours pas à ce stade, l'OPL PF (Pilot Flying, aux commandes) a eu l'impression que l'avion ne répondait pas correctement à ses sollicitations aux commandes et l'équipage a, très normalement, remis les gaz puis a posé normalement l'avion. Ce qui à partir d'un non évènement a déclenché une véritable frénésie médiatique est la crispation sur le manche qui a fait déclencher les deux boutons sous le pouce et l'index (déconnexion PA, d'où alarme, et alternat, ce qui fait que le total est passé à la radio, y compris la surprise et le stress manifeste du pilote devant un comportement de l'avion qu'il ne comprenait pas).
Le reste est en réalité anecdotique et le CDB a apparemment poussé fort sur le manche pour contrer une assiette qui partait en cabré excessif et il y a eu un petit moment de flottement où l'OPL a aussi fait des actions qui normalement ne lui incombaient pas. Il aurait été plus propre que les actions et les rôles soient clairement définis et annoncés, mais ce n’est pas contradictoire avec la procédure Boeing. Il n'est évidemment pas exclu qu’elle soit amendée ou précisée à l'issue de l'enquête.
Donc pour moi deux vrais problèmes:
- pourquoi cette impression d'un avion qui ne réagissait pas normalement aux commandes? (FD, retour d’efforts, trim de direction ou gauchissement, turbulence de sillage, cisaillement de vent latéral, désorientation spatiale, fatigue...)
- l'emballement médiatique, totalement injustifié... mais on aime tellement jouer à se faire peur!
(*) Use maximum force, including a combined effort of both pilots, as needed. A maximum two-pilots effort on the controls will not damage the flight controls.