Virée nocturne 4
L’avion s’ébroue, nous étions plein gaz sur freins, et les premiers mètres sont franchis, l’accélération est franche malgré le surpoids.
A mi-piste, l’avion semble flotter, j’affiche une assiette 10° (à 13° le stick shaker-vibreur de manche- se déclenche) le bout de piste arrive et miracle nous sommes en l’air. Je n’ose pas écrire nous sommes en vol, car pour le moment ça tient plus du miracle que de la méca-vol.
J’ai bien briefé mon pseudo copilote et il rentre le train pile au bon moment.
Je diminue l’assiette, nous perdons une trentaine de pieds mais gagnons une dizaine de nœuds, l’aviation est une affaire de compromis. On transvase !
L’aiguille du badin se déplace millimètre par millimètre et nous arrivons enfin au bug blanc, préréglé par mes soins pour rentrer les volets vers 15°, comme dans un décollage normal.
La vitesse indiquée augmente de façon significative.
Nous grappillons quelques pieds, nous voilà à 100 ft, puis 200 ft, toujours volets 15°, mais le badin devient agréable. Je suis d’une prudence de chat, surtout quand j’ai la trouille.
Je connais cet avion en charge normale, mais avec 4 tonnes de surcharge, je suis en terrain inconnu.
A ma droite Michel ou quel que soit son vrai nom, est blanc comme un linge.
- On est presque sorti d’affaire, patience encore une dizaine de minutes.
- Pourquoi ?
- Le décollage ne sera fini que quand je pourrai rentrer les volets. Tes potes m’ont fait un centrage de gueux. L’avion tient sur un fil, je n’ose même pas tousser.
- Quelles sont nos chances ?
- Tu m’en as laissé cette nuit, de la chance ?
Il se tait. Il fait bien.
Le badin affiche 170 kt. A ma demande, mon tocard nous rentre les volets. Je mets l’avion en légère montée. On sera mieux à 500 ft. Parce qu’à présent, il faut virer au cap indiqué.
Sur des œufs, à une inclinaison de timide, nous virons doucement vers notre premier point.
J’ai entré sur le HT 1000 le départ DUMAS, le prochain point LONDON, puis un point générique pour l’arrivée LUPIN.
- ATR ?
- Yep !
- Popeye. Je suis en ascension vers le FL 250. On te suit.
- Merci ma poule !
Dans toute cette aventure, j’ai presque un allié, ça fait chaud au cœur.
Nous voilà à 500 ft, ça accélère toujours très doucement, vers 200 kt indiqués, je nous remets en montée vers 1000 ft. Là, on pourra souffler.
Par chance, il fait beau, mais à ce cap, le soleil nous éblouit.
Nous voilà stable à 1000 ft, la vitesse continue d’augmenter.
- Prépare nous tes coordonnées d’arrivée, c’est pas quand on sera à 100 ft mer pour aborder les côtes Libyennes que je pourrai les entrer.
Michel acquiesce, il a un peu de bon sens.
L’avion est stable, la vitesse indiquée est de 255 kt, plus rien ne bouge. Pour entrer les coordonnées, j’engage le pilote automatique, après avoir bien vérifié les 3 trim’s.
Combien de fois ai-je vu des pilotes engager le pilote automatique à la volée, comme des gorets !
- Il s’agit d’un tronçon de route en dur, de 5 km de long, loin dans le sud. Mes gars sont là, camouflés dans le sable avec 4 camions. Vous vous êtes déjà posé dans le désert, je crois.
Ces mecs savent tout c’est désespérant, c’est d’ailleurs comme ça qu’ils me tiennent, les vaches.
J’entre le point LUPIN définitif. Et je déconnecte le pilote automatique. Travailler avec Georges à basse altitude, c’est pas dans mes options.
En aviation, on prend des marges, des marges sur les marges et si on les respecte, on survit. Peut-être …
Nous volons depuis 45 mn, le premier point arrive. Je m’apprête à virer quand deux Prowlers de la Navy viennent m’encadrer. Je vire à droite un peu sèchement vers ma nouvelle route. Le Prowler de droite sursaute. S’il croyait avoir à faire à un placide, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’à l’homme en plâtre.
Les deux cow-boys palmés disparaissent et me laissent à mes pensées. J’ai 300 Nm à parcourir, j’en ai pour environ 70 minutes.
Curieusement c’est maintenant que ça semble le plus facile. Je vole à 1000 ft, le grand luxe, de jour, avec des anges gardiens en altitude. Pas trop à craindre des pilotes Libyens, se poser sur une route est à la portée du premier pilote professionnel venu. En redécoller pareil.
Revenir vers la France prendra du temps, mais encore faisable.
Ensuite ça va se corser. On doit chercher cet avion partout, on m’attend à l’arrivée à Castres, et sûrement pas avec des fleurs. Les gendarmes de la BGTA ne seront pas à prendre avec des pincettes, sans compter que la compagnie a sûrement porté plainte pour vol et donc la justice est sûrement déjà sur les dents. Le parquet sera sur le tarmac . . .
Oui certes, mais j’ai l’amorce d’un plan. Car mes petits camarades de jeu, dans l’euphorie de notre appontage réussi ont complètement oublié de me prendre le portable que j’ai toujours dans mon sac de plastique, ma sacoche PN du modeste.
Et là, ce fut l’erreur fatale.
Nous sommes à 80 Nm de la côte Libyenne, il est temps de quitter la haute altitude.
Toujours à la main, je descends vers 100 ft, tranquille. Et hop, une barre de céréales. Que ne donnerais-je pas pour une gorgée de Zubrowka.
- ATR
- Yep
- Popeye. Je te laisse là, je reste en dehors des eaux territoriales. On a deux Rafales en haute altitude, il sont sur toi en moins de deux minutes si quelque chose va mal.
- Yep. Merci ma poule
Toujours cap au sud, le soleil monte de plus en plus à ma gauche. Pierre et Michel s’agitent sur leurs sièges.
La fièvre monte à El Pao, me dis-je in petto. Mais je n’en suis pas à me prendre pour Gérard Philippe.
Et voilà, on passe la côte en trombe, je saute les dunes, ça me rappelle mes vols dans le désert du Ténéré quand je ravitaillais des camps de pétroliers.
Je remonte un peu, c’est pas le moment de se casser la margoulette sur un âne qui volerait trop haut, tirant sa charrette de misère.
Il reste 50 Nm. Il y a une barrière montagneuse à passer dans 30 Nm, puis nous arriverons sur le plateau où mon GPS m’indiquera le point de rendez-vous.
Stable à 1000 ft QNH, je scrute l’horizon en passant les crêtes.
- Vu ! le trait noir légèrement en biais devant à 5 nm
- Vu, OK. Michel à ma droite écarquille ses mirettes.
Mes mains volent sur les PL, je réduis à 25% de torque. Il ne s’agit pas de traîner. Je passe verticale le seuil fictif, je balance les volets 15°, le train suit, puis les volets 25° dès que je passe en vent arrière, et hop dernier virage, ça mollit pas.
L’empâtement du train est de 2.80m. La route fait un peu plus de 4 m de large, c’est du gâteau.
Nous touchons les roues 200 m avant les 4 camions garés en épi sur le coté gauche de la route. Freinage et reverse et nous voilà arrêtés.
Je coupe le 1 et passe le 2 en mode Hôtel. C'est-à-dire que le moteur tourne mais que l’hélice est bloquée par un frein hydraulique.
Pierre et Michel ouvrent la porte des passagers et descendent ouvrir les portes cargo, comme je le leur ai enseigné sur le porte-avions. Les caisses et les valises descendent et sont vite entassées sous des bâches. Michel à l’écart est pendu à son téléphone satellitaire.
Il me reste 3000 kg de fuel, et l’avion va être léger au retour, de ce coté là, c’est paisible. On ne peut pas tout le temps être du coté des perdants.
Un Mirage F1 passe à 10 km à notre droite, à environ 5000 ft, à un cap divergent. Nous serrons les fesses en attendant le pire. Il disparaît à l’horizon. Sursis ?
Michel, revient vers l’avion, ferme les portes cargo, ce que je vérifie sur mon panneau supérieur.
- Changement de programme en ce qui me concerne, je rentre avec vous. Je dois coordonner la mission depuis Paris.
- Au revoir, me dit Pierre
- Va te faire voir.
La porte est à présent fermée, les camions s’éloignent, je libère le mode Hôtel, je démarre le 1, tout est aligné.
Volets 15°, je teste le take-off check, tout est nominal.
Puissance normale, ça s’ébroue et nous voilà en train de décoller comme une plume.
Il est 9.15 du matin, l’affaire dure depuis hier soir 23.30.
J’ai déjà fait des vols jusqu’à l’épuisement, mais là, ça commence à taper dans les limites.
Je remonte à 1000 ft pour passer les crêtes. Même route qu’à l’aller.
Rien ne se passe, pas d’avions qui me pourchassent, pas d’appels sur 121.5.
Je passe la côte en trombe à 100 ft, comme à l’aller, j’attends encore 100Nm avant de remonter à 1000 ft.
- ATR
- Yep
- Popeye. Ta route est libre jusqu’à la côte française
- Merci pour tout.
Moins on en dit, mieux c’est !
Et c’est à nouveau le calme des longues traversées. Mais à 1000 ft, pas au FL 390, avec rien à boire ni à manger, avec la crainte encore de me faire shooter par un chasseur Libyen, avec la possibilité de me faire asticoter par ls chasseurs de l’US Navy et avec en bout de course, les gendarmes, le juge et la prison. Car c’est écrit dans tous les manuels des « services » quand on a fini de pressurer un agent involontaire, on le jette.
Longue traversée donc, mais dans l’angoisse.
Je fais un rapide calcul de C/D (consommation/distance). Je trouve 3.0 kg par Nm, à cette altitude, ce n’est pas étonnant, le GPS m’indique à présent 450 Nm restant.
Mes jauges m’indiquent que j’ai à bord 1700 kg, Il me resterait donc environ 350 kg à l’arrivée à Castres.
Oui, mais voilà, je ne vais pas à Castres. Mais ça mon tourmenteur à droite ne le sait pas encore.
Je ne vais tout de même pas me jeter dans la gueule du loup. Il et temps que je prenne l’initiative, ils m’ont assez baladé, ces sales types.
Le temps passe, une paire de F 18 vient nous renifler de près.
Je leur fais un pied de nez et un Bouh ! qui leur fait très peur
.
Je vois la côte française au loin, mon trait passe à peu près sur Béziers pour aller vers Castres. A 10 Nm de la côte, j’altère ma route vers la droite, de quoi passer juste entre Sète et Agde. Et de là, je prendrai une route 345° pour 65 Nm.
Il y a deux sortes de cartes. Les bonnes et les mauvaises.
Les bonnes sont celles où sont indiqués tous les terrains qui peuvent servir en normal et/ou en urgence. Y compris ceux qui sont désaffectés mais qui peuvent encore servir en extrême urgence.
Un moteur qui explose à proximité d’un terrain même désaffecté, et hop vous voilà sauvé, comme ce fut le cas d’un de mes amis à bord de son biplan.
Mon plan a mûri sur le porte-avions, quand j’étais sous la douche. Car sur ma carte perso, sont « plottés » tous les terrains utilisables en cas d’urgence. C’est le rôle d’un pilote que de passer de longs moments à renseigner sa carte, à s’en imprégner, à en sentir le sol, juste en regardant les courbes, les couleurs, et le carroyage.
Et quel est ce terrain situé à 65 nm dans le 345° de la lagune de Sète ?
Ari