Bien volontiers, cher JP. Voici un extrait. Mais après, j'arrête. Je ne veux pas être accusé de spammer. (Le lettre est traduite à la fin du livre)
Tiré de "La légende de Little Eagle" -
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Alors que, perchée sur une chaise, je penchai la tête pour en lire les titres, mon regard fut attiré par un bout de papier jaune pâle débordant d’une édition des œuvres complètes de Shakespeare. C’était une copie carbone d’une lettre de mon grand-père, Paul Lenglin, BP 152, Beaune (21), pliée en quatre et insérée dans un passage de La Tempête. Intriguée, je l’ouvris pour y jeter un coup d’œil. Tapée sur une machine à écrire d’un modèle ancien, la frappe des lettres avait perdu de sa netteté. J’allai m’asseoir près de la fenêtre pour décrypter cette missive.
Dear Mr. & Mrs. Garreau,
This is a letter to express my deep gratitude for the action of your son, First Lieutenant John Philip Garreau, on August 12 1944. It took much time and many letters and inquiries to US and Allied military authorities to find your address and this is the reason I write only today.
You know of course that your beloved son was killed in action in this part of France during the War when his P-51 Mustang named Lucky Lady crashed. In the name of all the members of my family I present you today my very sincere sympathy for the tragic loss of John Philip.
But perhaps you do not know that First Lieutenant Garreau ACTED LIKE A HERO and saved our lives. He could have parachuted and saved himself when he realized that his plane was out of control, but he did not. On the contrary, he remained in his plane with a burning engine to avoid falling on our village, and more precisely right on our family house. My wife and my two young children were inside. From the front yard, I watched him myself taking a desperate turn very close from the roof in order not to kill us all. The result of this action was that he was killed in a field just behind our house.
Myself and my family, and all the inhabitants of the village of Verdeil, see and will always see John Philip Garreau like a real hero. He was a great ace in air combat but he did not hesitate to sacrifice himself to save other, civilian lives. You can be proud of him and we also are. We will never forget him.
Your son’s body now lies here in our peaceful cemetery, not far from our house. We visit him regularly and lay flowers on his grave.
If you come to France one day, please contact us. It would be a great honor for us to meet the parents of such a brave and courageous young man.
Cette lettre, datée du 14 juin 1947, avait été adressée aux parents du Premier Lieutenant John Philip Garreau, à Browning, Montana, USA.
J’ai dû pâlir. Je me souviens d’avoir dû faire un effort pour reprendre mon souffle. Mon rythme cardiaque s’était accéléré. Les yeux perdus dans les branches des arbres entourant la maison, je luttai non pas pour comprendre, mais admettre le sens de cette lettre que Paul Lenglin avait probablement demandé à quelqu’un de traduire dans cet anglais un peu approximatif. Pour me retrouver très vite face à cette évidence : sans le sacrifice de John Philip Garreau, mes grands-parents, leur fils, leur fille – ma mère, alors une jeune enfant – auraient péri en ce jour d’août 1944. Et… et donc je ne serais pas née… Je n’aurais pas vécu.
Je sus d’emblée que cette révélation allait m’obséder de mille manières. Une fois le choc amorti, je visualisai le drame. J’imaginai, je vis ce pilote dans son appareil en perdition, dans son cockpit inondé d’une fumée noire, apercevant soudain cette maison à quelques dizaines de mètres devant lui, ultime obstacle dans sa ligne de vol au-dessus de ce village où il ne voulait pas tomber, et comprenant en un éclair ce qui allait se passer lors de l’impact en apparence inévitable: le P-51 Mustang avec encore beaucoup d’essence et de munitions, véritable bombe volante s’enfonçant dans la façade, le toit explosant, les murs s’éventrant, les flammes jaillissant des fenêtres. Un fracas infernal. Des morts, des civils sacrifiés.
Mais John Philip Garreau avait pris sa décision quelques instants plus tôt. Rester à bord, coûte que coûte, tout tenter pour éviter une catastrophe. Croyait-il pouvoir s’en sortir encore avec un atterrissage forcé ? Des témoins m’ont confirmé qu’il avait soudain réussi à redonner suffisamment de gaz à son moteur qui crachotait, qu’il avait viré sur la droite au tout dernier moment, l’extrémité de l’aile gauche de son appareil se brisant sur la cheminée, et qu’il s’était écrasé derrière la maison. Je relus la lettre et m’arrêtai longuement sur cette phrase : « Ma femme et nos deux jeunes enfants se trouvaient dans la maison. »
Les jours et les semaines qui suivirent cette découverte, tout en aménageant cette maison pour la rendre plus confortable, une idée me vint, qui prit vite la forme d’un projet. Et même d’une mission, un devoir de mémoire, comme on dit aujourd’hui. J’avais besoin de savoir qui était exactement John Philip Garreau, je voulais connaître sa vie, sa trajectoire d’homme et de pilote. Un homme ? Un très jeune homme, presque encore adolescent. Il avait à peine plus de dix-huit ans.