Bob a écrit:J'ai des centaines de départs en Bijave, arrêtés avant le demi-tour.
Oui, cela faisait partie de la formation de base - fort heureusement.
Tiens, ça me rappelle une anecdote, dans les années 80.
On faisait justement l'étude des départs et arrêts d'autorot' en Bijave avec un élève assez enthousiaste.
Sur une sortie d'autorotation il tire une ressource un peu sèche qui soudain déclenche un fracas apocalyptique qui emplit tout l'espace et l'esprit... j'arrive juste à penser en un éclair "M...e, le longeron, on perd les ailes!"
Mais bizarrement on se retrouve à l'assiette de palier, et on la stabilise sans difficulté. Je tourne la tête et constate la présence rassurante des grosses ailes à l'emplanture épaisse de part et d'autre de mon cou. C'est déjà ça!
Je regarde derrière, où normalement on ne voit, de la place instructeur, que l'intérieur du fuselage du Bijave... Horreur! là je vois le vide, et le paysage!
Le Lauragais, la Montagne noire, les labours, les cultures, les cumulus... encadrés d'un mikado de baguettes en vrac et de lambeaux de toile arrachée battant furieusement dans le vent relatif. Bon, on n'a semble-t-il perdu que du fuselage. Et ça a l'air de voler encore...
Mais, horreur à nouveau! Au beau milieu de cet étrange et vertigineux tableau, je réalise soudain les empennages. Les empennages bougent, vibrent, se tortillent sans relâche avec une amplitude et une fréquence inquiétantes.
Et là, cas de conscience: on est assez haut pour sauter, on y va ou pas?
On essaie doucement toutes les commandes, le planeur répond normalement sur les 3 axes. Quelques virages à inclinaison faible, puis normale: tout va bien, la trajectoire est contrôlable. Doucement, tout doucement, on sort les aérofreins, cm par cm, et on les rentre avec les mêmes précautions: le plan vertical est contrôlable également.
Mais ces empennages, visibles en direct à travers le vide remplaçant le fuselage, qui gigotent frénétiquement...
Au bout de quelques minutes, comme il ne s'est rien passé de plus, on juge raisonnable de rester à bord et d'aller se poser.
Un petit fond d'anxiété remonte lors du tour de piste: maintenant, s'il se passe quelque chose, on est trop bas pour sauter...les dés sont jetés.
On se concentre sur la trajectoire en s'efforçant d'oublier tout le reste, on ne pense plus qu'au point d'aboutissement, tout se passe bien, on touche avec un grand soulagement, on s'arrête et je descends aussitôt examiner la machine, alors que les copains en piste se précipitent déjà vers nous, stupéfaits d'avoir vu passer le Bijave dans cet état.
L'immense carénage de l'extrados de la voilure, en composite, a disparu et arraché tout l'entoilage et le dôme en bois carénant le dessus du treillis métallique: l'épais fuselage du Bijave ne ressemble plus à rien, ce n'est plus qu'un treillis métallique grêle, tout en bas, sur lequel pendent des lambeaux de toile pitoyables.
J'attrape le haut de la dérive et le secoue: ça bouge, beaucoup, mais en fait pas plus que d'habitude: le treillis structural est intact, c'est sa souplesse naturelle qui laissait les empennages secoués par les remous aérodynamiques d'un fuselage plus du tout, mais alors plus du tout aérodynamique, exprimer librement leur désapprobation.
On retrouvera le carénage fugueur dans une cour de ferme à proximité immédiate du terrain: les Dzus avant n'avaient pas été verrouillés au dernier remontage, et sous la ressource la dépression de l'extrados l'a entrebâillé. L'air s'y est engouffré et a arraché l'immense carénage. Les Dzus arrière étant, eux, bien verrouillés, il a emmené avec lui l'entoilage et la menuiserie du fuselage, ne laissant que la structure métallique, intacte, dont on a alors réalisé qu'elle ne constituait qu'une petite partie du fuselage, la majeure partie n'étant que de la menuiserie entoilée carénant le tout. Et qu'elle était particulièrement souple en torsion, ce dont on ne se rend pas compte quand on ne peut pas voir les empennages en vol...
Celui qui a loupé les Dzus à la prévol s'en est voulu longtemps.