de toms le Dimanche 16 Novembre 2008 12:20
La redondance est l’une des clés de la sécurité en aéronautique. A chaque fois que la conception d’un système amènera à penser que son infaillibilité n’est pas suffisante, ce système sera doublé voire triplé. Cette notion est tellement encrée dans les esprits de ceux qui volent que l’on entend souvent des réflexions de ce genre : « Comment ? Tu n’as pas de double allumage sur ton moteur ? » C’est oublier que, si dans la chaîne globale de fonctionnement du moteur, certains systèmes sont doublés, tout ne peut pas l’être. Et quand bien même, si tout pouvait être doublé, il y aurait encore possibilité de double panne. Vous allez me dire que la double panne n’est pas une chose envisageable, et vous aurez raison. C’est cependant sans compter sur les Gremlins, ces êtres qui nuisent aux Lutins travaillants au bon déroulement du vol (lisez les « Comptes à tire d’aile » de Jan Tutaj pour en savoir plus).
Le système de détection d’incendie installé sur le moteur Rolls Royce Tyne du Transall est bien sur doublé. Chacun des circuits commande l’allumage d’un voyant différent dans le poste de pilotage. L’un allume un voyant rouge sur la poignée incendie située au panneau plafond, l’autre un voyant rouge sur le levier combiné (qui permet d’ajuster le carburant et passer l‘hélice en drapeau) placé sur le piédestal. Ces deux circuits courent tout le long des moteurs fixés à distance régulière par des petites pattes métalliques. Il peut arriver qu’une de ces attache se crique et que le circuit se mette à la masse. Il y a alors déclenchement d’une alarme feu incomplète. Dans ce cas, pour lever le doute, le mécanicien navigant va tester le circuit qui n’a pas déclenché d’allumage de voyant. Si ledit circuit fonctionne, on en conclut qu’il s’agit d’une alarme intempestive. En revanche, si le test de ce circuit révèle qu’il est défectueux, on considère dans le doute qu’il y a feu, et on applique la procédure feu moteur. C’est simple, carré, et ne peut donc pas ouvrir la porte a des débats stériles. Sauf si…
Ce jour de novembre 1997, nous avons décollé de Francazal au petit matin à destination de Monastir dans un premier temps, avec espoir de finir ce soir à N’Djamena. Nous sommes en équipage « sympa », le commandant de bord est encore mon copain Fabrice, et nous ne sommes pas en mission d’instruction. Bref, des vacances ! L’ambiance est au mieux, travail sérieux sans « prise de tête », il n’est pas nécessaire de se prendre au sérieux pour l’être réellement ! Nous déroulons donc chacun nos petits calculs, une estimée par ci, un pétrole par là, les comparants régulièrement tout en invitant de temps en temps le FMS, que nous avons à présent réussi à apprivoiser ! Les survols maritimes sont en général assez calmes, il n’y a pas grand-chose à voir dehors, et la foule est bien moins dense que sur le territoire de la métropole. Cet état de fait associé à une nuit un peut courte conduit forcément à une légère hypovigilance, sans gravité d’ailleurs. En général, il faut bien peu de chose pour passer de cet état à une surexcitation intense ! Tiens, puisqu’on en parle !
L’alarme sonore retentit, associé a un voyant rouge du bandeau d’alarmes (le sapin de noël). Il n’y a pas beaucoup d’alarmes rouges sur ce bandeau, il s’agit donc de quelque chose de grave ! En effet, le mécanicien annonce immédiatement : « feu confirmé moteur droit ! » Il faut réagir vite ! Mais avant que quiconque ai pu dire quoi que ce soit, l’alarme disparaît ! Je regarde Fabrice, puis le mécanicien navigant. Tout deux ont les yeux comme des soucoupes ! Qu’est ce que c’est que ce truc ? Nous commençons à échanger quelques mots incertains, il faut dire qu’il n’y a pas trop de procédures pour ce genre de cas. Notre conversation est très vite interrompue par un : « Biiiiip… Bip…. Bip… … Biiiip » hésitant comme un stagiaire après une question vache de l’instructeur, puis à nouveau le silence ! (Enfin, bon, c’est relatif, le silence, dans un Transall.) Alors là c’est la confusion totale dans toutes les cervelles du poste: “mais c’est intempestif ou pas?” « Non, il y a bien allumage des deux voyants ! » « Va voir derrière aux hublots si ça fume ! » Le mécanicien de soute fonce à l’arrière.
Pas de fumée. Qu’est ce que c’est que cette chienlit ? Un petit « Bip » retentit de temps en temps. Et si c’était un feu en train de couver ? Bon Il faut faire quelque chose. Fabrice demande au mécanicien de conduite : « Tu me confirme que c’est bien une alarme feu confirmée ? » « Oui, pas de doute possible. » « Bon, si jamais ça recommence, … » « Biiiiiiiiiip ! » puis plus rien ! « Fait chier ce truc ! Au prochain, on déclenche la procédure ! » Silence à nouveau pendant quelques minutes, puis : « Biiiiiiiiiiiip ! » « OK, procédure feu moteur ! » Enfin quelque chose de normal et connu. Le mécanicien coupe le moteur et déclenche les extincteurs. J’affiche la puissance maximum continue sur le moteur restant et informe Fabrice : « notre déroutement actuel est Ajaccio ! » « OK. Marseille contrôle du COTAM 1664, MAYDAY MAYDAY MAYDAY ! Nous sommes à 35 nautiques au sud de XXXXX au niveau 190, avec un moteur arrêté suite à un feu. Nous voulons descendre au niveau 100 et prendre un cap direct sur Ajaccio ! »
La réponse du contrôle ne se fait pas attendre, et nous faisons demi tour en descendant vers notre plafond de rétablissement. Je prépare l’arrivée à Ajaccio pendant que le navigateur prévient nos opérations de cet événement imprévu. Ca va permettre de préchauffer le dépannage ! Le reste du vol se déroule comme à l’exercice. L’arrivée sur Ajaccio est des plus directe, les véhicules de secours sont là gyrophare en marche, et je me fend même d’un kiss à l’atterrissage (certains diront : « c’est facile, avec un Transall ! » et je répondrais oui,mais quand même !) Quand les moteurs sont arrêtés, les problèmes de bas étage commencent : il faut trouver de quoi loger sur la base marine locale, coordonner le dépannage, préparer la poursuite de la mission. Un autre équipage du CIET va nous emmener l’équipe de dépannage avec un autre avion, le RA02, et nous poursuivrons la mission avec cet avion. Pendant ce temps, l’autre équipage attendra la fin du dépannage, et rentrera ensuite à Toulouse avec notre pauvre R53.
En attendant l’arrivée des spécialistes, nos mécaniciens navigants ouvrent les capots, et constatent qu’il n’y a jamais eu feu là dedans ! Mince alors ! Misère de grenouille ! Une double alarme intempestive ! On va avoir du mal à être crédibles ! C’est une première à ma connaissance et personne d’autre dans l’équipage n’en a jamais entendu parler non plus. L’équipe de dépannage n’aura plus qu’à nettoyer les dégâts de l’extincteur. Leurs investigations confirmeront heureusement que les deux circuits de détection étaient à la masse. La suite de notre mission se passera sans problèmes, en visitant Monastir, N’Djamena, Douala, Libreville et retour à Toulouse par le même chemin après presque trente heures de vol.
Cet incident restera pour moi une source de réflexion en ce qui concerne la confiance que l’on peut accorder à un système, aussi sécurisé soit il. Nos ingénieurs font de fabuleux calculs pour estimer les probabilités d’occurrences d’une panne. Cela finit par des dix puissance moins … et de savantes considérations : « nous n’envisageons pas la panne de ce système, il n’aura donc pas de back up » ou encore : « ce système est doublé (voire triplé), l’équipage ne pourra donc pas perdre cette fonctionnalité ». Et pourtant… Toutes ces belles phrases ne sont que des mots face à la réalité. Et j’ai depuis écouté patiemment (avec un petit sourire aux lèvres, quand même), les pilotes qui racontaient comment ils confiaient leurs vies (et parfois celle des autres) à des machines en argumentant sur la fiabilité de leur systèmes…
Dans le même genre d’histoire, il faut lire le livre de Bernard Ziegler : « Les cow-boys d’Airbus ». Il y raconte comment un Airbus d’Air France, décollant de Tell Aviv, a eu une alarme feu confirmée sur les deux moteurs. Les quatre circuits confirmaient donc la présence d’un incendie. Ils avaient tout simplement été incorrectement montés, tout les quatre de la même manière !
J’hésite à ajouter une conclusion toute personnelle : Au cours de ma carrière sur Transall, j’ai fini cinq fois en monomoteur (N-1) à la suite d’une panne. Ce qui fait environ une fois toutes les mille heures de vol. Mais je connais des pilotes qui, sur une période à peut près équivalente ont eu quinze ou vingt pannes du même genre ! Je ne crois pas trop au hasard, il doit y avoir un truc ! A moins que les lutins et les Gremlins existent réellement, ce qui apporterait une réponse satisfaisante à la question. Mais bien sur, vous n’êtes pas obligé de me croire !