J’en rêvais depuis longtemps, de ce bel hommage à l’Aéropostale: la traversée Dakar - Natal avec un biplan des années 30.
C’est un très long vol évidemment, le principal chantier a donc été d’adapter l’autonomie du Jungmann:
Pour l’essence: la place avant a été remplacée par un réservoir supplémentaire jaugé par un simple tube transparent, visible de la place arrière. Je volerai donc en solo.
Puis chaque aile supérieure a été équipée d’un réservoir souple, glissé entre les deux longerons par les trappes de visite, de l’emplanture de l’aile à celle de l’aileron. Un simple robinet, unique, les vidange simultanément par gravité dans le supplémentaire, par une tuyauterie qui descend dans les mâts de la cabane. Tout cela est simple et sans risque de panne. La séquence est facile: on décolle sur le réservoir normal car il alimente par gravité en cas de panne de pompe, on consomme ensuite le supplémentaire, puis on y vidange le carburant des ailes, on le vide à nouveau, enfin on pompe dans le normal pour les 3 dernières heures. Vive le CNRA!
Le convoyage jusqu’à Dakar a permis d’étalonner très soigneusement la conso horaire: en mixturant soigneusement (Lean of Peak) elle tombe de 28 à 23 l/h pour 1950 tr/min (65%) et ça passe alors pour notre traversée avec des marges confortables, en plus d’être réglementaires.
Pour l’huile (le Tigre en consomme « un peu »), un réservoir supplémentaire à côté du démarreur dans la partie haute du capot, qui se siphonne automatiquement dans le réservoir d’origine quand son niveau baisse en-dessous d’une valeur déterminée: pas de problème d’autonomie de ce côté non plus.
Pour le pilote, des camelbacks dans la soute à bagage l’alimentent en liquides appropriés, en fonction des nécessités du moment: hydratation, remontant (mais non: café!…). Les poches de la combi sont garnies de biscuits et barres de céréales plus ou moins sucrées et aromatisées. Pour ses besoins physiologiques le pilote est équipé d’un pénilex (Sed Lex) raccordé au collecteur des drains, qui évacue discrètement et proprement leur contenu sous l’étambot.
Après, ce n’est plus qu’une question d’endurance.
WE DID IT! Voici donc le reportage photo du vol:
Concentration avant le départ:
Départ au point du jour, pour profiter de l’air « fraiche et porteuse » (on est très lourd!), et avoir le maximum de temps devant soi:
On prend lentement un peu d’altitude le long de la plage de Yoff avant la mise de cap vers le sud-ouest:
On quitte la côte sénégalaise, et cette fois-ci c’est parti…
… pour la grande traversée:
Ce sera long…:
Très long…
Très, très long…
Assez rapidement on se sent seul…:
Bien seul…
Terriblement seul…
Accompagné seulement d’Aldébaran, bien visible, qui permet de temps en temps un point astro au sextant, le manche tenu entre les genoux:
Après des heures et des heures le soleil baisse dangereusement; heureusement que la composante ouest de la traversée rallonge la durée du jour:
Une légère anxiété commence à monter… faudrait quand même arriver quelque part, maintenant! Et là-haut, les copains qui travaillent, eux, avec GPS, centrales à inertie, ADIRU, SATCOM, ACARS, CPDLC, et tout, et tout… c’est pas juste!
Je scrute l’horizon…
Scrute, scrute…
Et, enfin, un signe de vie!
De tous temps l’apparition des premiers RV a indiqué aux navigateurs l’approche des côtes… nord-américaines!
M’enfin… C’est pas le Brésil alors?
Merde! Mais c’est les Keys, ça!:
Survol de la mangrove avant l’atterrissage… en Floride! Damned!
Y’a dû y avoir un problème avec la nav astro: c’était peut-être pas Aldébaran finalement…
C’est pas grave, c’était quand même un vol magnifique. Allez, un tonneau de victoire malgré tout.
Atterrissage dans un champ splendide: pas de casse. Fatigué, mais heureux!
C’est bête… un réservoir supplémentaire qui dévie fortement le compas, des alizés qui font dériver bien plus que prévu et des souvenirs de nav astro un peu périmés…
Bon, c’est pas cette année que j’aurai le prix Nobel de navigation, c’est sûr.
Mais d’autres navigateurs célèbres n’ont-ils pas découvert l’Amérique par erreur, bien avant moi?
(Photos: Jean-Marie Urlacher
http://www.urlachair.com)