Je suis haut comme trois pommes quand l'histoire commence : je demande à mon parrain (un "grand", il avait 10 ans de plus que moi) ce qu'il voudrait faire plus tard. Aviateur, me répond-il. Moi aussi dis-je, comme tous les enfants à quelqu'un qu'ils admirent parce que ce sont des "grands". Nous en reparlerons.
D'aussi loin que je me souvienne j'ai regardé le ciel chaque fois que j'entendais un bruit d'avion. Mes parents étaient allés habiter un village de la France profonde, jouxtant la Belgique. l'aviation y était un monde inconnu de tous. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main, il arrivait qu'il y soit questions d'avions. J'appris rapidement rapidement à les reconnaître.Tous les après-midi, un ronronnement attirait mon attention pour guetter le passage d'un quadrimoteur qui grossissait, passait presque à la verticale de notre maison puis disparaissait de l'autre côté de l'horizon. Je sus vite que c'était un Constellation, facilement reconnaissable à son altitude de croisière qui se situait aux alentours de 4500 mètres.
Les deux aérodromes les plus proches étaient Reims et Laon Couvron situés respectivement à 45 et 30 nautiques. Pas précisément des aéroclubs, le premier étant une base de l'Armée de l'Air et l'autre de l'U.S Air Force. C'était dans les années 50, en pleine guerre froide, les budgets militaires devaient être généreux si j'en juge à la fréquence des vols, la maison de mes parents était une grande bâtisse, l'une des rares du village à posséder un étage, située à l'écart et la seule peinte en blanc. Tout pour faire mon bonheur, car elle servait visiblement de repère pour tous les vols à basse hauteur. A l'époque, les vols laissaient apparemment une grande part à l'initiative des équipages quisemblaient avoir une grande liberté de manoeuvre. Et "basse hauteur" n'était pas une figure de style. Pour exemple, ma première vue rapprochée d'un avion fut celle d'un Sabre passant juste au dessus d'un gros poirier du jardin. J'ai encore l'image fugitive du casque du pilote et de son masque dans son cockpit. quelques années plus tard, celle d'un Voodoo faisant du saute haies dans les près du bocage en face de la maison avant un dégagement en chandelle et tonneaux à pleine PC en atteignant la lisière de la forêt proche.
Le rêve pour un gamin fou d'avions, mais la frustration de ne pouvoir les approcher.
Et puis il y avait parfois ce Piper Cub qui venait musarder dans le coin, pas très haut mais quand même nettement plus que les jets quasi quotidient, mais bien plus lentement ce qui me laissait le temps de l'observer ... et de rêver. Rêver de pouvoir approcher un avion et, pourquoi pas, en piloter un jour. La réponse à mon parrain était toujours d'actualité, mais je dus me contenter de voir de temps à autre ce Piper dans le ciel sans jamais approcher un avion. Jusqu'au jour où, à la faveur d'une excursion le car fit un arrêt au Bourget pour pouvoir regarder les avions au sol sur le parking, de l'autre côté du grillage. Un Comet, une nouveauté, avait particulièrement attiré mon attention. Parviendrai-je un jour à toucher une de ces fabuleuses machines qui me faisaient rêver, d'aussi loin que je me souvienne ?
Les années passent, me voilà en terminale au lycée où on nous propose un jour d'assister à une réunion où un officier de l'Armée de l'Air viendra nous expliquer comment postuler pour une des 16 bourses de pilotage qui seront offertes à autant d'heureux candidats : 4 brevets avion, 12 brevets planeur (1er degré avion, brevet C planeur, l'équivalent du BB actuel). Je finis par me retrouver parmi les heureux élus. L'année suivante, j'avais le 1er degré en poche.
Et mon parrain dans tout cela ? Lui n'a encore jamais volé, mais l'envie demeure. Il s'inscrit au club où je prépare mon second degré (le PPL actuel) et au passage donne le coup de pouce nécessaire quand mes finances d'étudiant ne suffisent pas. Il ne sera jamais "aviateur", mais aura au moins fait une partie du chemin.
Bien des années plus tard .........
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Nous sommes les 3 seuls civils (2 copains à droite et moi qui prends la photo) à être autorisés à circuler sur le parking du meeting de clôture d'un Championnat du Monde de voltige (Le Havre 1992) pour y accueillir les pilotes de la Patrouille de France. A 20 mètres de là, le public massé derrière la clôture regarde, et beaucoup doivent nous envier. A ce moment là, je revis ce qui précède, ma fascination de gosse derrière les grillages du Bourget pour ces avions inaccessibles. Intense bonheur d'un rêve réalisé, mais aussi sensation de la nécessité de partager. Combien de fois ai-je vu des parents accompagnant leus enfants fascinés par les avions ... de l'autre côté du grillage. chaque fois que c'était possible, je suis allé leur proposer de passer de l'autre côté, toucher l'avion, s'installer aux commandes. Voir les yeux briller de bonheur, même sans voler. C'est malheureusement de plus en plus souvent impossible à cause des règles de "sûreté". Quel risque représente un gamin dont on tient la main pour le conduire vers un evion ? "
Aucun, mais c'est interdit, monsieur ! ".
Le temps a passé, j'ai rencontré bien des anciens du temps où j'étais gosse avant d'en devenir un à mon tour. Parmi ces anciens, je pense à l'un d'eux qui fut membre de mon club. Marcel Henriet était commandant de bord à Air france avant de prendre sa retraite et de continuer à voler jusqu'à un âge fort avancé. Longtemps instructeur bénévole, nous eûmes de nombreuses conversations au cours desquelles il évoquait sa carrière et les avions qu'il avait pilotés. Parmi eux, le Constellation. Je me plais à penser qu'il avait dû certaines fois se trouver aux commandes de celui que je regardais passer quotidiennement au dessus de chez moi lorsque l'avion était un rêve inaccessible