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Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

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Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Gilles131 le Mercredi 18 Mai 2016 09:42

Tout spécialement dédié à quelques forumeurs qui se reconnaitront Image



On a passé depuis un moment le panneau Edwards AFB et on traverse Mojave, qui a un petit air de ville fantôme avec ses convois de wagons citernes rouillés abandonnés le long de la route. Nous avons laissé la froide humidité du Pacifique derrière nous depuis longtemps et le soleil tape crûment sur un paysage de western: un désert de cailloux constellé de buissons bas et secs desquels émergent quelques Joshua trees, sorte de grands yuccas isolés de deux à trois mètres de haut. Lors d'une pause pipi le long du ruban de bitume traversant le désert de Mojave vers California City, on imagine les serpents à sonnette cachés sous les pierres surchauffées...
On se croirait vraiment dans "L'étoffe des héros", d'autant plus qu'un sinistre panache de fumée noire monte de l'horizon - j'espère qu'il n'est pas d'origine aéronautique.

Le terrain de California City semble désert mais on découvre avec surprise cinq Fouga Magister derrière les grillages des parkings. Alignés comme à la parade, un aux couleurs de l'Ecole de l'Air, deux aux couleurs de la Patrouille de France, un autre un peu folklorique dans les bleu et jaune et un noir étincelant, magnifique mais dont je n'ose imaginer la température du revêtement sous ce soleil de plomb.
Fred est au rendez-vous. Il entretient depuis une vingtaine d'années nombre des 108 Fouga ayant été importés aux US (il y en a eu jusqu'à douze à California City) et forme leurs propriétaires à son pilotage.
On se met d'accord sur le programme: une boucle basse altitude d'une quarantaine de minutes suivie une vingtaine de minutes de voltige. Je veux découvrir la personnalité de cet avion mythique qui m'a bien fait rêver quand j'étais gamin.
Fred enfile par dessus sa combinaison de vol un élégant gilet couvert de poches rebondies contenant des équipements de survie et de communication, qui lui donne une allure très "Troop commander": "Notre terrain de jeu est une zone désertique équivalente à un triangle Lorient-Bordeaux-Paris. Si on doit sauter, ça aidera à nous retrouver…" J’hésite à enfiler moi aussi une combi en raison de la température, mais finis par craquer devant son patch Cactus Buster Squadron, trop mignon!
Notre Fouga est celui aux couleurs de l'Ecole de l'Air, marqué 315-BM. Une voilure bien allongée, avec un peu de flèche au bord d'attaque et un bord de fuite bien droit, lui donne un air assez voilier malgré son dièdre rigoureusement nul. Les jolis bidons d'extrémité de voilure, délicatement fuselés, contiennent 250l de kérosène refoulés vers le réservoir de fuselage par pressurisation. Le magnifique empennage papillon, très haut et élancé, comme ses compas d’équilibrage de gouvernes jouent un rôle majeur dans l'identité visuelle si marquée de cet avion à l'élégance presque gracile. Le fuselage est très long à l'avant, avec la place avant très en porte-à-faux, et court à l'arrière. Le train très court lui donne l'allure sympathique d'un teckel avec la truffe au raz du sol.
Mais vu de près il est évident que ce n'est pas un avion d'aéroclub et qu'il est bel et bien conçu comme un chasseur. C'est du costaud, soigneusement construit, et l'intérieur est d'une austérité toute militaire. Tout noir, des gros cadrans avec des vraies aiguilles en fer comme on n'en fait plus, des boutons partout sur le manche ergonomique et des gros basculeurs et rotacteurs dispersés un peu partout sur les consoles latérales sans logique apparente, plus quelques leviers le long des parois.
J'ai droit à un amphi cabine rapide et succinct: les instruments moteurs, la procédure de démarrage, les volets et leur indicateur, les aérofreins, la pressu, le freinage secours, la sortie du train en secours, la séquence de décollage et la procédure d'évacuation. Pour le reste, je verrai bien en vol...
L'installation est facile car le fuselage est très bas, mais la position est déroutante: on est assis très droit sur le parachute, le buste parfaitement vertical et je dois tendre le bras (que j'ai pourtant long) vers le manche loin devant. En revanche les palonniers, même reculés à fond, m'obligent à une position des jambes assez repliée…
Le débattement du manche est beaucoup plus important en profondeur (articulation au plancher) qu'en gauchissement (articulation à mi-hauteur).

Bon, Fred à peine installé en place arrière, on y va.
"Batterie sur ON", il me hurle, et je l'entends à peine à travers le casque. Hop, le gros basculeur en bas à droite, je lui confirme et il branche l'interphone: cette fois ci, je le reçois très fort et clair dans les écouteurs.
Allez, on démarre le gauche: on pivote le levier robinet coupe-feu du haut, marqué Gauche, tout en bas le long de la paroi gauche, on bascule le gros interrupteur de démarrage, sur la console de droite, sur Gauche, et on regarde monter les tours. A 1200 tours (une graduation pour 1000 tr/min) on revient sur le levier à gauche, on cherche le petit bouton poussoir tout en haut: on injecte et on allume, en surveillant les températures turbine. A 200° d'augmentation, on relâche et le moteur continue tout seul sa montée en régime, à 4000 tours on remet le basculeur de démarrage au neutre. On ajuste 8000 tours et on vérifie l'extinction du voyant Génératrice.
Le sifflement strident du moteur dans l'interphone est horrible!
Démarrage du droit: tout pareil, mais avec le levier robinet carburant du bas, marqué Droit, et le gros interrupteur de démarrage basculé coté droit. On ajuste les moteurs à 10000 tours: le sifflement suraigu déchire les oreilles; c'est insupportable!
Fred ajuste le squelch de l'interphone, derrière, et tout d'un coup, miracle! Plus de bruit de moteur, juste sa voix forte et claire. Ouf! J'ai eu peur...

Bon, allez, on perd pas de temps: on ferme les verrières en allant chercher le manchon coulissant de blocage du coude des contrefiches, on les casse et on referme doucement le couvercle transparent à l'impressionnante armature métallique usinée. Un quart de tour au levier de verrouillage, sorte de manivelle horizontale à poignée rouge devant à gauche et on n'oublie pas d'appuyer sur le poussoir de gonflage du joint pour la pressu, bizarrement placé dans la tranche du bras de la manivelle, ce qui le fait apparaître une fois la verrière verrouillée.
Allez, on continue: la pressu en marche, vanne de clim sur plein froid, les gyros, je recale l'horizon qui me faisait de la peine à voir, tout de travers.
Fred me fait régler le rétroviseur pour voir les aérofreins sur les ailes, tiens ils sont dehors. Je cherche donc le contacteur sur la tranche de la manette des gaz de droite, un petit coup sur Rentré et blam!... ça rentre d'un coup sec comme des guillotines, y'a pas intérêt à laisser traîner des doigts dedans... et on attaque un court roulage vers le seuil de piste tout proche.
Freins relâchés, je m'attends à ce que le Fouga avance tout seul comme les gros, mais non, rien. Je pousse un peu les manettes avec délicatesse, faut pas brusquer les turbomachines, surtout avec les régulations hydro-mécaniques de l'époque, ça pompe facilement: rien, on ne bouge pas d'un poil. Aurais-je oublié quelque chose?
Fred outrepasse mes pudeurs d'un grand coup de gaz "Faut 14/15000 tours pour qu'il bouge, ensuite 10/11000 tours pour rouler".
Le temps d'un droite-gauche pour rallier le taxiway, je constate vite que ce ne sera pas évident: la roue avant n'étant pas conjuguée on roule aux freins, à grands coups de gaz pour tourner, ce que je déteste surtout avec des turbines. "Mais arrête tes grands coups de palonnier, ça ne sert absolument à rein!" Je sais bien, mais je n'arrive pas à freiner du bout du pied avec la jambe repliée, j'ai besoin de l'étendre pour avoir l'amplitude et la précision...
Avec les 10000 tours ça galope sur le taxiway, avec les fesses au raz du sol j'ai la sensation désagréable que ça va bien trop vite pour moi avec cette machine que je commence juste à tenter d'apprivoiser. Il y a un bon petit vent de travers et l'effet girouette est sensible, je dois freiner régulièrement à gauche pour le maintenir sur la ligne. Occupé à batailler avec les freins j'entends vaguement Fred marmonner rapidement quelques actions vitales, ça se termine par "Bon, j'ai mes pressions, mes températures, Fouga 315 Mike Bravo, we line up and take-off runway 06"
"Déjà? Pas de temps de chauffe?" "Non non, c'est bon, on y va!"
Bon, allez... Alignement laborieux aux freins, pleins gaz sur freins et on lâche tout, ça part tout doucement, ça ne pousse pas bien fort - et encore, c'est des Marboré VI!
La position naturelle de mon bras, que je suppose être grosso modo profondeur au neutre, est vite corrigée par Fred qui pousse le manche bras presque tendu, ce qui sera la position, bizarre et fatigante, pendant tout le vol.
J'essaie de restituer au mieux la séquence rapidement énoncée lors du briefing express, en gros: jusqu'à 40 kt tu tiens l'axe aux freins, ensuite au pied (toujours ce bon effet de girouette, mais cette fois-ci il tire franchement à gauche). A 70 kt tu soulages la roulette avant, vers 90 kt la rotation, comme en 340, vers 100 kt il décolle et on va chercher 120 kt. (Chef, j'ai jamais fait de 340!)
Ça répond mal à la profondeur, il n'a pas vraiment l'air de vouloir décoller donc je ne le force pas, je laisse accélérer avec une rotation lente, un peu comme en multimoteur avec une panne après la vitesse de décision... J'ai la désagréable impression que l'image ne colle pas vraiment avec le son du briefing. Fred finit par m'aider d'une action plus franche manche arrière, ça vole enfin... Un petit coup de freins, train sur rentré, on accélère doucement...
"On passe 130 kt, tu rentres les volets" La main va chercher l'interrupteur et l'œil l'indicateur, sur la console gauche, et "Ah, ben on a décollé sans les volets!" - Silence un peu gêné de la place arrière et soulagement de ma part: je comprends mieux! Décidément, c'est une constante universelle: la précipitation est le meilleur ennemi de la sécurité des vols.

Allez, on stabilise 600 ft sol et on vire franchement à gauche pour suivre la route: ça va tout de suite mieux, cet avion a maintenant l'air de très bien voler et répond avec douceur et vivacité aux ailerons, malgré une relative fermeté. Un ranch défile rapidement sous les ailes et on monte doucement en suivant le relief des premiers contreforts pelés. Pendant que Fred négocie avec Joshua Approach (le contrôle d'Edwards AFB!) je constate un micro-balancement latéral dans la légère mais sèche turbulence du désert qui commence à chauffer sérieusement, peut-être 1 ou 2 degrés de part et d'autre du neutre, que j'ai du mal à contrôler: je pose ma main gauche le long du manche pour m'assurer que ce n'est pas moi qui entretiens cette oscillation, mais non, elle persiste manche rigoureusement bloqué, et je l'attribue à l'inertie des bidons pleins en bouts d'ailes. D'ailleurs elle disparaîtra une fois ceux-ci vidés dans le réservoir central.
Le trim électrique au manche est très doux et très précis, la direction très ferme, voire dure.
On continue de monter le long du relief aride et poussiéreux où les buissons se raréfient en espérant un contact radar avec Joshua, mais rien à faire... Fred commence à montrer une certaine exaspération, et décide: "Bon, laisse tomber. Allez, après la crête tu dégringoles dans la vallée. Pas plus de 250 kt en descente, ça turbule"

Le badin monte vite et il me suggère les AF: une pression du pouce gauche et vlam, on part dans les bretelles, les secteurs ajourés jaillissant de l'extrados et de l'intrados nous freinent d'un coup sans aucun couple de tangage, et je pousse progressivement le nez dans le sol pour garder pile 250 kt. Là ça descend pour de bon, avec une assiette prononcée à piquer, pointant vers le lac au fond de la vallée.
"On suivra la lac vers la gauche". Oui chef, on rentre les AF en stabilisant le palier un peu au-dessus de l'eau et on balance les ailes à gauche en virant à 2-3g, on sort face à la vallée. Pas trop, trop bas car à cette vitesse il est exclu d'en suivre les méandres serrés, on coupe un peu dans les virages en jouant à saute-mouton avec les petites collines qui les dessinent.
"Tu feras attention, dans cette vallée j'ai parfois croisé des F15 et F16". C'est vrai que nous évoluons en pleine MOA, military operation area!

Je commence à apprécier sérieusement et à me décontracter: nous sautons gentiment de crête en crête à 250 kt, passant en trombe au niveau des petits arbres secs ou des barres rocheuses près desquelles nous voyons du coin de l'œil évoluer quelques rapaces, balançant souplement d'une aile sur l'autre pour suivre les contours de la vallée ou franchement sur la tranche en franchissant les cols. Je retrouve la fascination du vol de pente en planeur, décuplée par la vitesse incomparable. Dessous c'est complètement désert... Je crois un instant apercevoir deux silhouettes, qui s'avèrent n'être que des troncs d'arbres morts qui défilent en un éclair sous nos ailes argentées.
La vallée débouche sur une sorte de plaine caillouteuse, aride, aux vallonnements constellés de buissons secs.
"Tu vois la ligne à haute tension? On la passe puis on redescend vers le sol, et on part à gauche… tu suis la voie ferrée"

Je commence maintenant à me sentir très â l'aise dans cet avion décidément enthousiasmant! Sans pied, les virages serrés passent avec un quart à une demie-bille basse, mais la direction est tellement dure que je renonce vite aux efforts pour la centrer parfaitement, et m'en accommode.
Fred commence aussi à se sentir en confiance: soudain les écouteurs me crachent dans les oreilles une musique frénétique qui rythmera jusqu'au bout notre cavalcade effrénée, en lui donnant encore plus de relief et de saveur.
La vallée dans laquelle nous mène la voie ferrée s'évase et nous survolons en trombe quelques ranches éparpillés. Tiens, la voie se termine en une large boucle et un train de marchandises y fait demi-tour avant de la reprendre dans l'autre sens.
"Y a plus de voie ferrée, qu'est-ce qu'on fait?"
"Ben, on attaque le train!" Bien sûr! Je descends aussitôt en inclinant pour remonter la boucle de la voie vers le convoi. "Descends pas trop, quand même!". Hé hé... je jubile intérieurement!
Heureusement que Fred gère la navigation et me guide de temps à autre: je n'ai pas la moindre idée de notre position.
En remontant vers le col qui barre la vallée, je prends le temps de savourer l'excellente vue vers l'extérieur depuis le balcon en surplomb de la place avant. Je me retourne pour voir les ailes et suis surpris de devoir les chercher si loin derrière. C'est une vraie jubilation de voir ce paysage atypique défiler sous les bidons si joliment carénés, reculés par la flèche du bord d'attaque.
On redescend au niveau des vallonnements derrière le col, et on suit la route en terre vers la droite, évitant un champ d'éoliennes face à nous.
Sachant que Fred doit en général convaincre "allez, vas-y, descends, tu peux descendre encore...", je ne lui en donne pas l'occasion, oublie toute référence réglementaire européenne, ravale toute pudeur et colle au sol autant qu'il me paraît raisonnable, jusqu'à avoir dans le pare-brise la vision en relief des Joshua trees émergeant des buissons bas. La douceur et la précision du trim permettent de piloter à effort rigoureusement nul, guidant l'avion quelques mètres au-dessus de la flore du désert, épousant les déclivités d'infimes pressions sur la profondeur. Je n'ai jamais compris ceux qui volent hors trim, avec un effort permanent au manche...

La route vire à droite et monte légèrement vers un petit col, j'incline tout doucement avec une légère pression arrière pour couper dans le virage, bien trop marqué pour être suivi à cette vitesse.
"Incline pas trop quand même, faudrait pas cabosser les bidons..." Nous sommes donc sur la même longueur d'onde... Je jubile de plus en plus!
Derrière le col un pylône m'incite à la méfiance et je remonte insensiblement pour me garder de cette menace. Bien m'en prend: je repère effectivement une ligne à haute tension, dont je m'éloigne en me laissant glisser sur la droite.
"C'est bon, à ce cap il n'y a plus d'obstacle, tu peux redescendre". Faut pas me le dire deux fois...
Un dernier pic poussiéreux enroulé sur la tranche et nous nous retrouvons face au plat désert de Mojave, cap sur les installations esseulées de California City.

Nous passons à la séquence voltige, à laquelle je tiens beaucoup. Quand j'étais enfant le son lointain des Marboré me faisait sortir dans le pré derrière chez mes grands-parents et je rêvais devant les évolutions de ces petits points aux reflets métalliques en provenance d'Aulnat, haut dans le bleu éclatant du ciel du Puy de Dôme - au grand dam de ma grand-mère, à qui cette vocation naissante procurait les pires angoisses.
Fred me tire de mes rêveries en me montrant la base d'Edwards toute proche, en bordure de son immense lac salé, et je monte vers 10000 ft au-dessus de California City airport pendant qu'il négocie, cette fois-ci avec succès, avec Joshua Approach.

Alignés au-dessus du trait d'asphalte bien visible au milieu de l'uniformité du désert on attaque à la vitesse de croisière un tonneau, puis deux: pas besoin de pied, ça tourne tout seul avec beaucoup de facilité: les ailerons sont fermes, certes, mais efficaces. Le nez a tendance à redescendre un peu sur le dos, il faut le soutenir par un soupçon de manche avant.
Ouverture à droite et retour par la gauche vers l'axe de piste, et on attaque une boucle: "Tu prends 280 kt, puis tu tires et tu maintiens 3,5/4g". Ça tombe bien, mes fesses sont calibrées à 4g et c'est ce que je tire spontanément quel que soit l'effort, du Salto à la profondeur ultra-légère au Zlin 526 franchement lourd en tangage.
Je prends donc un peu de vitesse et tire bien droit, doucement mais fermement. Un coup d'œil à l'accéléromètre, les 4g y sont bien et le nez part lentement vers le ciel. La ressource est très longue, ça dure, ça dure, c'est interminable, je ne vois que du bleu et le reflet dansant du soleil sur l'armature métallique, et ne sais pas où j'en suis. Je tourne la tête vers les ailes mais le poids du casque sous 4g me gêne, les ailes sont trop loin derrière et je ne parviens pas à les voir s’enrouler sur l'horizon.
Pendant ce temps la vitesse, et donc le facteur de charge, diminuent: la poussée du Marboré (et encore, un VI, oui, je sais...) est bien loin de compenser le poids et la traînée. Le maintien des 4g exige donc une augmentation régulière de l'action manche arrière, avec un effort aérodynamique qui diminue de façon très marquée avec la vitesse. Je me contente de piloter la profondeur en maintenant aux fesses les 4g, en tirant bien droit dans le bleu et en cherchant, tête rejetée en arrière, le retour de l'horizon inversé.
Le revoilà, bien horizontal au-dessus du pare-brise, donc la montée était symétrique... c'est le moment de relâcher la pression sur le manche pour cet instant délicieux où l'on contemple le paysage inversé dans une sensation de quasi-apesanteur, en laissant le nez y replonger doucement. On est maintenant en descente franche sur le dos, c'est le moment de ré-accélérer la cadence de tangage et de ré-augmenter le facteur de charge, pour retrouver nos 4g. La durée de la descente est à l'image de celle de la montée, et cette longue dégringolade à la verticale du trait de bitume barrant le sable, avec la vitesse qui augmente rapidement, m'impressionne un peu. Du coup je tire un peu plus par réflexe, monte à 5g et commence à me voiler gentiment... Je ramène le nez juste sous un horizon surexposé, en noir et blanc, agrémenté de myriades d'étoiles diffuses. Je paye manifestement les 9 heures de décalage horaire et le sommeil insuffisant de la nuit dernière, après les 11 heures du vol Paris-Los Angeles!

On n'est certes pas là dans de la figure estampillée Aresti, mais conforme aux exigences de l'avion et de sa motorisation. Laissons la dictature de la règle et du compas aux compétiteurs, et à leurs machines conçues pour la brutalité de la voltige moderne.
"Ça va? On en refait une?"... "Et comment!" Je repars de plus belle, en faisant bien attention cette fois-ci à ne pas trop serrer la fin de la boucle. Quel délice, l'amplitude verticale comme l'amplitude en vitesse sont absolument grisantes.
Allez, on engrange 300 kt pour un rétablissement tombé. Là aussi foin des critères de la voltige académique, on fait tout en douceur et le demi-tonneau en descente, avec un peu de conjugaison au pied cette fois-ci, est un vrai régal. Le pivotement du désert de Mojave et de la piste de California City airport dans le pare-brise sont totalement jubilatoires.
On s'en refait deux enchaînés pour un noeud de Savoie qui confine au nirvâna…
Mais les meilleurs moments ont une fin et il faut bien penser à retrouver le plancher des serpents à sonnette.

Fred me propose un passage bas sur la piste, enchaîné sur un tour de piste: parfait! Je dégringole les 5 ou 6000 ft en un demi-tour le nez dans le sol vers la piste, avec quelques secondes d'aérofreins pour sortir du virage et de la ressource bien aligné et à une hauteur raisonnable ("Pas trop bas, quand même, y'a du monde!")
On remonte la piste à 300 kt un peu au-dessus des hangars et un ample virage en ressource souple nous place en vent arrière à 140 kt, on coupe la musique pour se concentrer tranquillement sur l'atterrissage, on sort le train, 15° de volets, les 130 kt se stabilisent tout seuls, 40° de volets, on bloque les 120 kt d'un coup de gaz et on vire en descendant vers la piste, tout ça est très facile et bien trimé la vitesse est rigoureusement constante. Sur suggestion de Fred je vise le seuil physique de la piste et non pas le seuil décalé: le Fouga court pas mal à l'arrondi avec son aile très basse et son train très court.
Bien stabilisé en courte finale à 120 kt, Fred m'annonce "T'inquiète pas, il vole très bien" et vers 50-100 ft tire les manettes des gaz sur la butée. Je finis sur la poussée résiduelle sans problème jusqu'à l'arrondi: une légère prise d'assiette et j'attends tranquillement que ça touche, le capot juste au-dessus de l'horizon. Puis dé-rotation dans la foulée, posé en douceur de la roue avant et freinage immédiat mais doux qui nous amène à la vitesse de roulage à la première bretelle.
Après cette heure absolument extatique en vol je retrouve la dure réalité du roulage aux freins, qui décidément me demanderait un peu plus d'accoutumance.
On s'arrête devant les pompes où nous attend encore une petite formalité - nous avons consommé 700l de  carburant.

On retrouve le vent brûlant du désert à l'ouverture des verrières, et en retirant le casque la sensation paradoxale de froid dans les cheveux me fait réaliser que, malgré la climatisation sur plein froid, j'ai quand même bien transpiré!
Le Fouga Magister m'a fait une excellente impression. Construit à une époque où l’on avait le souci du travail bien fait et l’amour de la belle ouvrage, c’est un avion sain, docile et manœuvrant, très facile en vol mais peu agréable au roulage. Cependant c'est déjà un avion lourd, chargé, et peu motorisé (oui, oui, je sais: et encore c'étaient des Marboré VI!). Un véritable témoin d’une époque bénie où l’aviation française savait faire des machines excellentes et originales.
Pas vraiment des vitesses d'avion de club, mais pas non plus des vitesses d'avion de ligne…

Une visite à California City municipal Airport est vraiment une fantastique opportunité de voler sur un petit avion de chasse, dans les conditions de liberté absolument exceptionnelles permises par l'environnement du désert de Mojave et des montagnes de Californie, tout autant que par l'attitude particulièrement cool de Fred qui m'a laissé faire rigoureusement ce que je voulais sans la moindre restriction!
C'était mon anniversaire et c'était mon 100e type de machine pilotée: de quoi laisser un souvenir exceptionnel…

Nous laissons le Fouga verrières ouvertes, casques, parachutes et matériel de survie sur les ailes pour aller manger un morceau. Comme je m'inquiète de tout laisser ainsi à portée de n'importe qui, Fred me répond: "T'inquiète pas, ici on n'est pas en France!"
Tu m'étonnes! Dans son hangar il est d'ailleurs affiché les tarifs pratiqués chez nous pour une prestation du même type, mais évidemment autrement limitée par le carcan de notre environnement réglementaire: c'est quatre fois plus cher!

Devant un pauvre sandwich américain accompagné de Cajun Fries, dont se délectent goulûment deux obèses au bar de l'aérogare, Fred me confie son projet d'acquisition d’un Mig15 biplace, pour pouvoir proposer la même chose, mais à 400 kt: décidément, il va falloir revenir!

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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Geoff35 le Mercredi 18 Mai 2016 10:51

Superbe récit, et magnifiques photos.

Merci pour ce partage...!
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Jan Tutaj le Mercredi 18 Mai 2016 11:21

"Notre Fouga est celui aux couleurs de l'Ecole de l'Air, marqué 315-BM."

Perdu ! le GE 315 ( groupement école 315) était à Cognac et pas à Salon, siège de l'école de l'air. Sur l'insigne rouge , tu vois les 4 emblèmes des 4 escadrons de Cognac  des années 70. En bas à droite, tu vois une barque ailée. C'est l(insigne des Raffiots), l'escadron des marins. J'étais Raffiot 311, puis 211, puis 111 vers la fin de la progression.

Ton récit me fait bien envie, et l'ambiance à la Pancho Barnes est bien rendue. A part dans l'Aubrac on a peu de chance de pouvoir "enrouler" comme ça en France.
Donc, si j'ai bien compris à ton prochain LAX, tu nous envoies un récit de ton vol en Mig 15 UTI ?

Bons vols et à très bientôt dans le ciel ... TarnaisImage
Merci pour ton récitImage
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede MICHEL JANIN le Mercredi 18 Mai 2016 14:15

Ouaip !

Quand le récit produit de belles images c'est bien du plaisir

Merci
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elle reçoit avec justesse des coups de bâtons dans les fessesImage
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Richard78 le Mercredi 18 Mai 2016 14:59

La Californie, le désert, le Fouga de notre jeunesse, le vol en rase-mottes, puis pour finir la petite séance de voltige souple, quel souvenir ce doit être ... merci pour ce beau récit qui fait rêver, plus le petit hic, les volets oubliés, comme quoi, cela arrive à tous dès qu'on sort un peu du train-train !!
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede popele3 le Mercredi 18 Mai 2016 16:57

Superbe, encore...
(Petit bémol: les parachutes, ça aime pas, mais alors pas du tout, les UV. S'ils sont juste là pour servir de coussins ça va, mais si c'est pour éventuellement être utilisés, faudrait dire à ton pote Fred que c'est pas du tout une bonne idée de les laisser en plein cagnard).
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Jean-François GEAY le Mercredi 18 Mai 2016 19:52

Hummmmm
Que du rêve et des souvenirs.
Merci Gilles
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Quand on lui marche sur les pieds,
Le serpent hausse les épaules.
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Jean-François GEAY
 
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede EchoVictor le Mercredi 18 Mai 2016 23:39

Jean-François GEAY a écrit:Hummmmm
Que du rêve et des souvenirs.
Merci Gilles
Image Image Image


Ca y est, t'es redescendu de ton toit !!

Eric
Je suis fascine par l'air. Si on enlevait l'air du ciel, tous les oiseaux tomberaient par terre....Et les avions aussi.... (JCvD)
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Gilles131 le Vendredi 20 Mai 2016 17:49

Merci pour vos remarques!
En remerciement, la video d'enfer:

https://vimeo.com/167441747
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Gilles131
 
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Richard78 le Vendredi 20 Mai 2016 18:45

Encore mieux que les photos, extraordinaire, merci beaucoup.
Comme on dit le poids des mots, le choc des images, enfin je crois Image
J'aime bien "l'attaque du train" et le coup du bidon et de ne pas trop incliner Image
Vraiment bas, en dessous de nos 500 pieds réglementaires !!!
Sinon, ça a l'air plutôt bruyant le Fouga.
Pas de pied pour les tonneaux c'est bien pratique ...
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede PAPATANGOCHARLIE le Vendredi 20 Mai 2016 19:42

Magnifique expérience, superbe récit!

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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede dob le Vendredi 20 Mai 2016 20:02

Merci Gilles de nous faire participer à la ballade.

Je la repasserai sur grand écran et la sono à donf !


@ Pierre H:
C'est sûrement ce que tu as vu Lundi ! Image
Image
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Jpsurin le Vendredi 20 Mai 2016 21:04

Merci Gilles pour ce superbe récit qui donne envie.
D'ailleurs étant dans les parages fin juillet/début août je voulais savoir si cette activité était publique et si tu avais un numéro ou un mail pour contacter Cactus Busters.


Cordialement
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Gilles131 le Vendredi 20 Mai 2016 21:55

Contacte Fred à fougacm170@yahoo.com


Richard78 a écrit:Vraiment bas, en dessous de nos 500 pieds réglementaires !!!

Meuh non... Image
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Re: Cactus Busters, ou sa majesté Fouga Magister

Messagede Jean-François GEAY le Vendredi 20 Mai 2016 22:20

Gilles131 a écrit:En remerciement, la video d'enfer:

https://vimeo.com/167441747


Des images insoutenables, merci Gilles de les supprimer.
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