Tontonlyco a écrit:Surtout sans apport de matière extérieure ce qui implique une programmation préalable de l'ensemble du processus dès le départ.
Il y a un problème sémantique qui accentue l'opposition évolutionnisme/créationnisme ; c'est le sens du mot "programmation".
Si on utilise ce mot exclusivement dans son sens ontogénétique
(développement progressif d'un être vivant depuis sa conception jusqu'à sa mort), la programmation est intimement liée au vivant tel qu'il existe sur la terre. L'ontogénèse de tous les êtres vivants que nous connaissons est déterminée par la structure de l'ADN contenu dans leur cellule initiale ainsi que par les protéines qui y sont présentes.
L'autre sens est philosophique et existentiel et est lié à la recherche d'un sens, d'un plan, derrière le développement du vivant sur la terre.
Je vais supposer que nous ne nous intéressons ici qu'au sens ontogénétique.
Le développement de la plupart des organismes pluricellulaires est complexe et passe par de nombreuses étapes. Or l'organisation finale est déjà contenue et "programmée" dans le matériel génétique contenu dans la cellule originelle. Les nombreuses étapes et la complexité du développement de l'organisme semblent donc être un gaspillage contreproductif en contradiction avec les critères d'efficacité de la sélection naturelle.
Cette contradiction n'est qu'apparente. Les nombreuses étapes du développement ontogénétique procèdent d'une économie de moyen développée progressivement durant la philogénèse de l'espèce auquel appartient l'individu
(La phylogenèse est l'histoire évolutive d'une espèce ou d'un groupe d'espèces apparentées).
Pour l'expliquer, il faut, d'une part, essayer d'imaginer quelle a pu être la première différentiation cellulaire d'un organisme pluricellulaire primitif et, d'autre part, imaginer dans quelles circonstances une autre différentiation cellulaire procure ou ne procure pas un avantage évolutif.
Pour la première différentiation cellulaire, on peut conjecturer ceci:
- au départ du scénario, il existe des organismes pluricellulaires qui sont un amas de cellules identiques. Chacune remplit toutes les fonctions de base qui comprennent : la captation de l'oxygène dissout dans le milieu aquatique où vit l'organisme, la captation des sucres et protéines présents dans le milieu, la transformation de cette paire carburant/comburant en une forme d'énergie interne facilement utilisable (ATP/ADP ?) et le stockage de cette énergie qui permet à l'organisme de survivre à des diminutions de la disponibilité de la nourriture. Les cellules sont capables de mettre en commun l'énergie stockée.
- les organismes composés de plus de cellules ont un avantage évolutif dans la mesure où leur plus grande surface extérieure permet un lissage des variations de l'apport de nourriture.
Toutefois, à partir d'une certaine dimension, leur taille devient un désavantage car les cellules intérieures ne captent pas de nourriture et leur fonctionnement, même au repos, consomme de l'énergie. Or ces cellules développent les fonctions de captation de l'oxygène et de captation des sucres et protéines bien que ces fonctions ne leur servent pas. Ce développement est un gaspillage d'énergie.
- par variation aléatoire de leur génome, certains de ces organismes voient la lecture de la partie de leur génome correspondant au développement des fonctions de capture de nourriture conditionnée par la présence de protéines de surface (surface de la cellule) modifiées, cette modification ne se produisant qu'au contact de l'eau libre extérieure. Pour ces organismes, seuls les cellules de surface développent la fonction de captation de nourriture, tandis que les cellules intérieures ne font que le stockage d'énergie.
- cette modification donne un avantage évolutif aux organismes modifiés ; ils grandissent plus et captent plus de nourriture au dépens des organismes non-modifiés. Ces derniers disparaissent (ou sont moins présents) et la majorité des pluricellulaires gardent cette variation qui specialise leur cellules en deux souches.
Pour la différentiation cellulaire ultérieure, et touhours en conjecturant:
- au départ du scénario, il existe des organismes pluricellulaires déjà doué d'un tractus digestif. D'un manière ou d'une autre, ces organismes ingèrent d'autres organismes plus petits et en cassent les parois cellulaires. Les sucres, les lipides et de petites protéines présents dans ce brouet traversent la paroi du tractus et servent de nourriture. Les grosses protéines ressortent telles quelles à la sortie du tractus. Les parois du tractus sont déjà aptes à résister à certaines enzymes toxiques que l'on peut trouver parmi ces protéines, telles que les lipases (qui pourraient rompre les parois cellulaires) et les peptidases (qui scindent les protéines).
- par variation aléatoire de leur génome, certains de ces organismes ont les cellules de leur tractus qui deviennent capable de produire des peptidases. Cette modification s'était déjà produite sur des portions du génome qui sont lues inconditionnellement, mais la production de peptidases aboutissait à la mort de la cellule et à la mort de l'organisme. Cette fois, la production de peptidases est conditionnée par des protéines marqueuses qui ne sont présentes que dans le tractus. Les cellules du tractus sont déjà résistantes aux peptidases, aussi ces peptidases ne tuent pas l'organisme. Par contre, les peptidases décomposent les grosses protéines présentes avec la nourriture dans le tractus et qui, auparavant, étaient expulsées sans être digérées.
- l'organisme modifié dispose maintenant de plus de nutriments pour la même quantité de nourriture ingérée. Il y gagne un avantage compétitif et supplante les autres organismes qui n'ont pas cette modification.
- après quelques autres mutations, la production de peptidases devient l'affaire d'une souche de cellules spécialisée qui déversent leur production dans le tractus. C'est une glande.
Examinons maintenant ce qui se passe lorsque l'un de ces organismes modifié est engendré et commence à se développer.
La portion du génome qui code la production de peptidase est présente dès le départ. Pourtant, elle ne s'exprime pas (heureusement) car elle n'est pas en présence des protéines qui permettent sa lecture.
Durant son développement, l'organisme forme son tractus digestif et, enfin, les protéines permettant l'expression du gène sont là. La production de peptidases commence seulement à ce moment et uniquement dans les cellules du tractus ou de la glande.
On voit avec cet exemple que le développement du nouvel organisme suit les étapes de l'évolution qu'ont suivi les générations qui l'on précédé, à cause des conditions d'expression des gènes qui sont, à la fois, phylogénétiquement, la condition pour que le nouveau gène soit avantageux et, à la fois, ontogénétiquement, la condition qui fait que le gène ne commence à s'exprimer que lorsque son tissus cible est disponible.
Cette idée a été résumée par Ernst Haeckel avec la phrase « l’ontogenèse récapitule la phylogenèse ».
Voilà en gros pourquoi le développement d'un être vivant passe par une suite complexe d'étapes variées.
Il y a parmi les membres du forum plusieurs personnes spécialistes de la biologie moléculaire.
Je les prie d'excuser les erreurs que je n'ai pas manqué de faire.
Mais je crois que le raisonnement est globalement correct.
Luc