de Edouard.CRESPIN le Lundi 10 Novembre 2008 15:36
A propos de CUMULONIMBUS en Provence.
J'étais commandant d'escadrille au grand 2/5 Ile de France à Orange.
En ce soir de septembre le terrain était bleu (super cavok). Sauf qu'au loin, derrière le mont Ventoux ,le
géant de Provence les cunimbs commençaient à s'élever et il m'a rapidement semblé
que le vol de nuit avait du plomb dans l'aile.
Un petit coup de fil à la météo, c'est confirmé. J'annule le vol de nuit. Tout le monde à la maison.
Notre nouveau commandant en second d'escadron, fraîchement arrivé des brumes de l'est
débarque en salle d'ops et m'interroge sur le pourquoi de cette annulation.
- Je crois qu'il va pleuvoir, j'ai décidé d'annuler.
- Alors j'aurais tout vu. Il suffit de voir un nuage au loin et on en profite pour s'en aller buller devant
la télé. A Colmar d'où je viens, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige tout le monde en l'air. Nous nous
expliquerons demain matin.
Bizzare, il est onze heures et toujours pas de chef.
- Excuse moi Edouard, j'arrive en retard, j'ai du retirer ma 4L de fonction du fossé et impossible de sortir
de chez moi la route était totalement inondée. Au fait, bien vu pour l'annulation hier soir,
je n'aurais jamais cru celà, jamais vu un tel déluge.
- Nous avons eu ici quelques expériences intéressantes et je n'avais pas envie de remettre le couvert.
Il n'est pas simple de poser un Mirage de nuit, sous les trombes d'eau, au milieu des éclairs, sans phare,
sans essuie glaces, sans rampe d'approche, sans ILS, sans PAPI, les yeux scotchés au directionnel en
essayant de suivre au plus près le guidage du contrôleur GCA . Visibilité vers l'avant ZERO. Turbulences
sévères, on se croirait dans un bateau, du tangage et aussi du roulis, il y en a c'est la tempête.
Epaisseur d'eau sur la piste, 3 centimètres, possibilité de déroutement nulle, Istres vient de passer rouge.
Pas le moment de remettre les gaz, il y en encore trois avions derrière.
- 300 pieds, à vous pour l'atterrissage. Dernier vent 280° 15; 20 kts rafales à 40 kt.
Un dernier coup d'oeil au badin, 185 kts c'est un peu vite, manette des gaz dans la poche, arrondi au piffomètre
il est encore possible de distinguer quelques balises sur le côté malgré la buée sur la verrière.
Parachute ça tient, freinage, c'est le rêve de valse. Finalement avion contrôlé, piste dégagée,
retour au parking, ce fut chaud.
Le pilote du dernier avion lui rentrera à l'escadron à pieds, son avion s'en est allé faire une petite incursion
dans l'herbe sans gravité.
Le temps était tellement abominable qu'il faudra attendre qu'il fasse jour pour le remorquer au parking.
L'avion était solide. Seul le radar Cyrano avait rendu l'âme lors du foudroiement dans le cunimb qui précédait.
La trajectoire bien assurée par guidage radar contrôlé au TACAN pendant la percée et en finale. Un grand merci
au contrôleur, dont la voix rassurante nous guide en permanence, même si lui non plus ne voit pas grand chose sur
un écran pourri, la technologie microsoft nétait encore que dans les limbes, et le petit passage sur emergency au
transpondeur avait bien aidé à l'identification radar initiale.
Posé, pas cassé, cela s'est finalement bien terminé.
Les mêmes conditions météo en DR400 ? Impossible. Malheureusement certains pensent encore qu'il ne s'agit
en fait que d'appliquer ce que l'on fait sur flight Simulator. Qu'ils se détrompent même les Airbus n'ont qu'un
souci , éviter ces saloperies de cunimbs et ils sont équipés pour les détecter.
Déjà sous forte pluie, ce n'est pas forcément rigolo. Ce n'est plus un avion c'est un véritable tambour.
Un peu de grêle, le bruit devient abominable, et c'est vite la panique. On a rapidement l'impression
que l'entoilage va se faire la malle et une aile transformée en aréte de poisson n'est pas ce qu'il y a de mieux
pour assurer la sustentation.
De toutes façons, la visibilité vers l'avant est totalement nulle. Sous l'orage le vol aux instruments devient
obligatoire, au milieu du relief, rester dans la vallée impossible il y a moins de 2 minutes de survie !
Monter ? c'est l'horreur, l'avion va être pris dans des turbulences telles, qu'il va se comportercomme une petite
culotte dans le tambour d'une machine à laver. La tête du pilote et des passagers cogneront sans arrêt
la verrière, le pilotage aux instruments deviendra impossible. Les vertiges et les peurs du pilote (je sais de quoi je
parle), les cris de panique des passagers, rendront l'issue du vol inéluctable, aucun pilote aussi doué soit-il n'est
capable de s'en sortir.
De jour, il est souvent possible de faire demi tour, à condition, de savoir en prendre la décision.
De nuit et à basse altitude, vous ne verrez même pas le Cunimb avant d'y rentrer et la messe sera dite.
Du soir duquel je parle désormais, et pour habiter aux alentours du lieu de la catastrophe, à 16 heures, nous
avions allumé les lumières.
A dix sept heures il faisait nuit alors que la nuit aéronautique commencait officiellement bien plus tard.
Les trombes d'eaux descendaient des nuages un peu comme celles qui ont englouti Vaison la Romaine
ou Nîmes quelques années plus tôt.
Tenter d'entreprendre un tel vol dans ces conditions est plus qu'hasardeux, le poursuivre impossible,
arriver à destination un miracle.
Ce que je dis à mes élèves :
L'aéroclub est un loisir de beau temps.
Que la TEMSI, n'indique pas des plafonds mais des altitudes de base des nuages, ce qui est
extrêmement important et qu'il ne faut partir en voyage que si l'on est assuré, d'avoir au moins
1.000 pieds de plafond sur la totalité de son trajet.
Même les oiseaux ne savent pas voler dans les nuages.
Lorsque les reliefs, des Vosges, du Massif Central (que certains imaginent comme de petites collines) ou des
Alpes sont accrochés, il ne faut pas y aller.
Au minimum, depuis le début de l'année, au moins cinq avions ont percuté le relief de ces massifs après avoir décollé
avec des météos limites, et tous les ans c'est la même chose et c'est décourageant.
Instructeur, je ne suis pas capable de naviguer avec moins de cinq kilomètres de visibilité en VFR dans une
région que je ne connais pas, même si le réglement m'autorise à voler avec trente secondes de vol de visibilité.
Je pense aussi avoir commis la plupart des erreurs que l'on peut commettre en exerçant notre activité,
mais le fait que je puisse écrire ces lignes démontre que jusqu'à présent, j'ai toujours pu faire demi tour à temps.
Je sais aussi que nous pourronts sans arrêt rabâcher, il y aura toujours des pilotes pour croire, qu'ils sont capables
de vaincre les éléments et de succomber à la poursuite de l'objectif destination.
J'avais sur ce Forum et dans mon club, rappelé qu'il fallait mettre les pendules à l'heure fin octobre pour décoller
à temps et éviter les retours acrobatiques de nuit (passage à l'heure d'hiver). Peine perdue, sur les deux terrains
proches, sur lesquels je vole habituellement, deux avions et un ULM ont fait des atterrissages de nuit sans balisage pour
cause de retours tardifs en ce dernier dimanche d'octobre. Heureusement qu'il faisait beau, et que les petits copains
étaient restés pour assurer le balisage de la piste.
Ce ne fut pas le cas le week-end suivant et c'est terrible pour les familles des personnes disparues et très dommage,
pour l'image de notre aviation légère.
Edouard CRESPIN